Mazzucato estime que la théorie économique actuelle nous fait défaut. D’après elle, en ne faisant aucune différence entre la valeur et le prix de marché, nous avons une image faussée, ce qui fait que certains secteurs peuvent revendiquer une part du gâteau économique bien plus grande que celle justifiée par leur contribution. Elle considère la participation des autorités publiques dans l’économie comme largement sous-estimée. Ces autorités publiques jouent pourtant un rôle crucial, notamment en créant des marchés indispensables et en menant des recherches fondamentales.
Évolution historique
Mazzucato décrit dans son livre comment la notion de productivité, c’est-à-dire la création de quelque chose de précieux, a évolué au fil du temps. Elle fait remarquer que les ancêtres de l’économie Smith, Ricardo et Marx laissaient chacun de la marge pour une approche subjective de ce qui pouvait être considéré ou non comme productif.
Smith méprisait ainsi les nobles, qui préféraient dépenser les recettes à des banquets que de les réinvestir. Ricardo fulminait lui aussi contre ceux qui « empochaient les bénéfices sans contribuer à la production ». Quant à Marx, il utilisait la valeur du travail productif comme une sorte de tableau d’affichage de la société. Mazzucato est d’avis que ces trois messieurs rejetaient tous trois l’idée de la valeur comme donnée objectivement mesurable.
Pourtant, c’est exactement ainsi que le raisonnement économique a évolué depuis que les marginalistes comme Walras et Jevons (voir aussi cette contribution précédente de Arne Maes) sont passés au premier plan. La valeur d’un bien ou d’un service a alors été mise sur le même plan que le prix payé dans un marché (libre). Plus un bien est rare, plus son prix est donc élevé. L’eau est presque gratuite, même si elle est bien plus vitale que des diamants coûteux.
Rôle des autorités publiques
Selon Mazzucato, cette approche marginale conduit à une sous-estimation de la participation des autorités publiques. Car le service public contribue bel et bien à une plus grande prospérité (pensons aux diverses allocations et mesures de soutien), mais il n’a pas de prix de marché. Cela explique pourquoi la valeur ajoutée du secteur public américain est nettement inférieure aux dépenses publiques. Ce qui fournit ensuite des munitions aux groupes de pression, qui s’opposent à ce qu’ils ressentent comme une ingérence excessive de la part des autorités publiques.
Dans un ouvrage paru précédemment intitulé « The Entrepreneurial State »**, Mazzucato soulignait déjà le rôle d’investisseur de premier recours qu’a joué l’État américain dans le développement de diverses technologies comme Internet et le GPS. Elle juge inadmissible que ce sont justement les entreprises qui ont le plus profité de ces investissements qui excellent aujourd’hui en évasion fiscale.
Changement
Mazzucato s’est donné une mission. Elle veut bousculer le dogme selon lequel seules les entreprises privées pourraient créer de la valeur. Elle plaide pour une augmentation des projets publics ambitieux, dans lesquels on prend des risques souvent difficiles à digérer par les entreprises privées du fait que celles-ci visent une maximisation des bénéfices à plus court terme. Les fonctionnaires peuvent parfaitement être des héros, mais sont souvent catalogués aujourd’hui comme faisant partie d’autorités publiques en apparence parasitaires. Cette économiste en croisade n’a pas fini de se faire entendre…