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Macroéconomie
11.04.2024
Koen De Leus Chief Economist

L’infrastructure publique numérique catapulte l’Inde vers une nouvelle ère (l'Inde #8/10)

« Il y a dix ans, la pénétration financière en Inde, et surtout dans l’Inde rurale, était nettement inférieure à 50 % », explique l’économiste en chef Sameer Narang de l’ICIC Bank. « Mais avec le lancement de son Unified Payment Interface, le gouvernement a incité les banques publiques et les banques privées à s’ouvrir aux consommateurs aux revenus inférieurs. » L’UIP fait partie d’India Stack, un ensemble d’infrastructures et de plateformes numériques pour les services publics et privés aux citoyens. Cette India Stack accélère la digitalisation de manière vertigineuse.

« Il y a dix ans, la pénétration financière en Inde, et surtout dans l’Inde rurale, était nettement inférieure à 50 % », explique l’économiste en chef Sameer Narang de l'ICICI Bank. « Mais avec le lancement de son Unified Payment Interface, le gouvernement a incité les banques publiques et les banques privées à s’ouvrir aux consommateurs aux revenus inférieurs. » L’UIP fait partie d’India Stack, un ensemble d’infrastructures et de plateformes numériques pour les services publics et privés aux citoyens. Cette India Stack accélère la digitalisation de manière vertigineuse.

Vol d’oies sauvages

La technologie doit donner un énorme coup de pouce à l’économie indienne, caractérisée par une population jeune. « Un ordre mondial numérique offre un énorme potentiel pour l’Inde », affirme Tharman Shanmugaratnam.  Le Senior Minister de Singapour était l’un des orateurs du congrès CESP « India in Asia », qui a eu lieu du 3 au 5 mars 2023. « Basons-nous sur le modèle du « Vol d’oies sauvages », que l’économiste japonais Akamatsu a défini en 1930. Ce modèle de développement économique vise un mouvement de rattrapage des pays grâce à une vague de technologies et de savoir-faire provenant du chef du troupeau. Tout le monde progresse ensemble, et tous les pays évoluent plus vite parce qu’ils font partie du groupe des oies en vol. Les connaissances, les technologies et les investissements directs se transmettent de l’un à l’autre. »

Selon Shanmugaratnam, l’économie numérique accélère le rattrapage. Mais cela conduit également à une équipe d’oies plus flexible, car le leadership change plus rapidement. Le fait qu’une oie du troupeau ait un revenu par habitant inférieur à celui des autres, ou même d’autres problèmes de développement, n’a pas d’importance. L’économie numérique permet un énorme bond en avant, un rattrapage par rapport aux autres pays, et commence par tel ou tel secteur. Qu’il s’agisse de la santé ou encore de la robotique, le leadership sectoriel évolue beaucoup plus rapidement dans un ordre mondial numérique.

Infrastructure publique numérique

L’Inde est très bien positionnée dans cette économie de la donnée et du numérique. Lancé en 2023  avec Singapour, l’UPI-PayNow permet à l’ouvrier ordinaire de transférer de l’argent au-delà des frontières vers son village, uniquement à l’aide d’un numéro de téléphone mobile, sans intermédiaire. Son importance pour l’Inde ne doit pas être sous-estimée : chaque année, les Indiens travaillant à l’étranger transfèrent près de 100 milliards de dollars (dont 6 % en provenance de Singapour) vers leur pays d’origine. « L’Inde est le plus grand destinataire de transferts d’argent. Cet afflux atténue les conséquences de l’énorme déficit commercial indien en matière de biens », écrit Thomas Easton dans la newsletter hebdomadaire « Indian Business and Finance ».

L’UPI, ou Unified Payments Interface, est une plateforme de paiement compatible mise en place par le gouvernement indien. Les acteurs privés y ont greffé de nouvelles technologies et de nouveaux produits. L’UPI existe en parallèle d’autres éléments de base numériques ou Digital Public Infrastructures (DPI), qui peuvent être « sollicités » séparément ou en combinaison avec des Application Programmatic Interfaces (API). Ces technologies peu connectées sont appelées « stack » ou couche. India Stack ou « couches numériques en Inde » est le nom général d’une série de DPI couramment utilisées comprenant trois couches différentes : identité, paiement et données. La combinaison des DPI constitue la colonne vertébrale de la fourniture de services publics et privés aux citoyens. La grande différence par rapport à la simple fourniture de services par le biais de canaux digitaux réside dans le fait qu’elle permet au secteur privé de proposer ses propres produits à l’ensemble de la population indienne via le DPI avec une API simple.

Couche d’identité

Les DPI importantes dans la couche d’identité incluent Aadhaar, eKYC, eSign et GSTN.

1. Aadhaar

Aadhaar est le plus grand système d’identification biométrique au monde, qui fournit à chaque citoyen indien un numéro d’identification unique à 12 chiffres. Aujourd’hui, 95% ou 1,31 milliard d’Indiens ont un numéro. Il constitue la base de la vérification de l’identité des personnes et facilite l’accès à différents services. Selon Paul Romer, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Aadhaar est « le programme d’identification le plus sophistiqué au monde ».

2. eKYC (Electronic Know Your Customer)

En utilisant les données Aadhaar, eKYC permet aux entreprises et aux institutions financières de vérifier rapidement et électroniquement l’identité d’un client. Cela simplifie et accélère le processus de signature des services.

3. GSTN (Goods and Services Tax Network)

GSTN est une plateforme numérique pour l’administration, l’enregistrement, la déclaration fiscale et le paiement de la taxe sur les biens et les services. Elle garantit un régime fiscal uniforme dans tout le pays et automatise quasiment le processus fiscal et de paiement. Un numéro d’identification unique à 15 chiffres est attribué à chaque entreprise et à chaque individu enregistrés sous le régime GST.

4. eSign

Ce service permet aux titulaires d’un numéro Aadhaar de signer à distance des documents au moyen d’une signature électronique légalement valable.

Couche de paiement et de données

Dans la couche de paiement, nous retrouvons notamment les DPI suivantes :

1. UPI (Unified Payments Interface)

L’UPI est un système de paiement instantané en temps réel. Le système permet d’intégrer plusieurs comptes bancaires dans une seule application mobile, ce qui permet des transferts de banque à banque en temps réel. Différents systèmes de paiement (Google Pay, Apple Pay...) peuvent également communiquer entre eux via UPI. Depuis son lancement en avril 2016, le système de paiement mis en place par le gouvernement est devenu le 5e réseau de paiement mondial le plus important en termes de volume après Visa, Alipay, WeChat Pay et MasterCard.

2. APB (Aadhaar Payment Bridge)

Ce système permet de transférer automatiquement des subsides et des paiements publics vers des comptes bancaires liés à Aadhaar.

Dans la troisième couche, celle des données, nous retrouvons notamment le Digital Locker (DigiLocker). Il s’agit d’une plateforme qui offre aux citoyens la possibilité de stocker et de partager leurs documents officiels de manière numérique. Les citoyens ne doivent plus conserver physiquement leur permis de conduire ou leurs assurances.

Vies numériques

Il existe une grande synergie entre les DPI (gratuites) conçues et développées par les pouvoirs publics et les acteurs privés, les banques et les fintechs qui y proposent leurs services. Cela a permis de faire des progrès rapides dans le développement de l’économie numérique et a considérablement changé la vie quotidienne de la population indienne moyenne au cours de la dernière décennie. Les cybercafés d’il y a une décennie ont été remplacés par des smartphones peu coûteux et des abonnements de données extrêmement bon marché de prestataires de services d’accès à Internet comme Jio. « L’Inde compte plus de 800 millions de consommateurs de données mobiles, ce qui représente un taux de pénétration de près de 60% [contre 41% en 2020] », souligne Kunal Vora, responsable de la recherche sur les actions indiennes pour BNP Paribas India. « Des réseaux 4G et 5G ont été déployés dans toute l’Inde. La consommation de données mobiles a été multipliée par 100 ces 6 dernières années et s’élève aujourd’hui en moyenne à plus de 20 Go par mois. » Et pour les 11 euros (999 roupies) que vous déposez pour le téléphone « feature » JioBharat le moins cher (les apps préprogrammées de Jio comme Jio Cinema, Jio Saavn, JioPay, etc., vous les « recevez » gratuitement), c’est très intéressant.

mogiel datagebruik

Au lieu de se tourner vers les ATM pour retirer de l’argent, les Indiens paient désormais avec Google Pay, Apple Pay, PayTM et de nombreux autres fournisseurs de plateformes de paiement qui sont tous liés à UPI. UPI, une initiative de la Banque centrale indienne et gérée par une organisation à but non lucratif, met à disposition l’infrastructure qui permet à tous ces différents Payment Service Providers, y compris les banques traditionnelles, de communiquer entre eux sans problème.

Les acheteurs en ligne sont servis par Amazon India, la plus grande plateforme d’achat en ligne avec environ 716 millions de visiteurs mensuels, selon l’Ecommerce Guide. D’autres grandes plateformes en Inde sont Flipkart, Muntra, IndiaMART, etc. Commandes de nourriture en ligne, Uber et autres services de taxi, plateforme de VOD payantes comme Netflix et Prime Video... Tous les acteurs privés participent pour fournir des services au gigantesque marché des jeunes Indiens natifs du numérique. « Ce que nous avons surtout bien fait » explique Amitabh Dubey de GlobalDataTSLombard, « c’est que nous avons construit une infrastructure publique au lieu de laisser Apple ou Google contrôler l’infrastructure. Ils contrôlent nos téléphones, mais l’infrastructure de paiement appartient aux autorités. »

Tout en ligne

Les avantages de l’économie numérique sont nombreux. « Prenons, par exemple, la combinaison de l’identité numérique, de la mise en place du système de paiement UPI et des plus de 800 millions de personnes qui utilisent un smartphone » explique Chandra Mohan Malladi. Malladi dirige Enterprise Digital Platform chez Tata Consultany Services. « La présence physique n’est plus requise pour les transactions et vous pouvez donner votre consentement de n’importe où. Tout peut être fait en ligne. Les transactions se font sans papier. La vie privée est respectée. Et avec l’association de comptes bancaires gratuits Jan-Dahn à Aadhaar, les liquidités disparaissent lentement. »

L’initiative Jan-Dhan Yojana lancée en 2014 avait pour objectif de fournir un compte bancaire, une assurance et d’autres services aux plus pauvres. Cela a également soutenu les femmes sans compte bancaire et les a rendues plus autonomes. Dans les 4 ans suivant le lancement des Jan-Dhan accounts, les banques ont ouvert 500 millions de comptes. « Alors qu’à peine un quart des adultes disposaient d’un compte bancaire en 2008, ce chiffre dépasse aujourd’hui les 80% » affirme Anantha Nageswaran, conseiller économique en chef du gouvernement indien. Cela a posé les bases de la financiarisation et des paiements numériques : tous ceux qui le souhaitent ont désormais un compte. Grâce à cette inclusion financière, il est aujourd’hui beaucoup plus facile pour la plupart des Indiens d’obtenir un emprunt. Cela facilite à son tour la sortie de la pauvreté et la classe moyenne s’élève lentement.

Cash vs numérique

L’évolution vers moins de liquidités se fait également lentement. Près de 4 Indiens sur 5 estiment que l’évolution vers une société sans cash aura un impact favorable. C’est énorme. Aux États-Unis, à peine un quart des Américains partagent cette opinion. L’option des paiements électroniques pour les consommateurs – via les codes QR présents, mais aussi via le nº de GSM ou d’autres identifications – est partout présente. Selon la Banque mondiale, 35% des adultes de 15 ans et plus ont effectué un paiement numérique en 2021. Aujourd’hui cependant, le consommateur préfère encore majoritairement les méthodes de paiement conventionnelles. Selon une enquête menée par la plateforme de réseaux sociaux LocalCirkles en 2023, c’est surtout le cas pour des achats tels que les repas à l’extérieur, les achats de nourriture et de petits services, les repas à emporter et les réparations à domicile. La grande part de l’économie informelle et rurale joue également en faveur du cash. Les trois quarts des personnes interrogées qui ont acheté de l’immobilier l’ont fait en partie en espèces, selon l’enquête.

Les paiements numériques s’installent rapidement, surtout chez les jeunes. Le volume des paiements numériques a augmenté d’environ 50% par an au cours des cinq dernières années. Selon le FMI, la croissance du volume dans le système unique de transaction UPI en temps réel (en plus de nombreux autres systèmes de paiement tels que les paiements par carte et les transactions numériques via d’autres systèmes existants auparavant) s’élevait à près de 150% par an pendant cette période. Au cours de l’exercice 2023, UPI représentait 43% de la valeur et 79% du volume total négocié via des plateformes de transactions pour le commerce de détail (c’est-à-dire hors espèces). Il s’agit d’énormes parts sachant que le système n’a été introduit qu’en 2016. UPI a traité 9 milliards de transactions par mois en 2023 et, d’ici 2025, ce chiffre devrait atteindre 1 milliard... par jour. En 2022, la valeur du nombre total de transactions numériques en Inde a dépassé 4 fois la valeur combinée des transactions numériques aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. Le nombre d’utilisateurs individuels de paiements numériques devrait atteindre 750 millions d’ici 2027[1]. Le nombre de commerçants qui en feront usage sera de 100 millions.

QR code

Réduction de la corruption

L’UIDAI (Unique Identification Authority of India) gère le projet Aadhaar. Son mandat initial consistait à s’attaquer aux pratiques de corruption et à assurer la transparence des systèmes et des processus. L’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi a fait remarquer en 1985 que, sur chaque roupie, à peine 15 paises atteignaient les personnes qui en avaient réellement besoin. Les outils permettant d’identifier correctement les bénéficiaires manquaient, ce qui a permis à un grand nombre de personnes fictives et de sosies de percevoir illégalement des subventions et d’autres avantages. Le fait que les versements devaient passer par différents canaux avant d’atteindre finalement le bénéficiaire signifiait également que chaque intermédiaire en gardait une partie.

Aujourd’hui, plus de 85% de chaque roupie versée atteint le bénéficiaire visé. Les pouvoirs publics et les entreprises, dont les banques et les sociétés de télécommunications, insistent sur l’utilisation du numéro d’identification Aadhaar en combinaison avec UPI, ce qui en fait presque une exigence pour 22 programmes d’assistance : régimes de pension, programmes alimentaires pour enfants, bourses d’émancipation pour les femmes, allocations d’assurance, immatriculation des véhicules, bourses, enregistrement du mariage, salaires, fonds de pension, etc. Les autorités indiennes ont mis en place un schéma de « Direct Benefit Transfer » dans le cadre duquel les subventions sont versées directement sur les comptes bancaires liés à l’Aadhaar. Selon Nageswaran, les pouvoirs publics ont ainsi économisé au total 33 milliards de dollars, soit près de 1,1% du PIB (dont plus de 95% proviennent de « fuites »). D’autres trouvent préoccupante la quasi « obligation » d’avoir une carte Aadhaar pour certains services. La transparence est bonne, trop de transparence peut entraîner des abus.

Avantages

La révolution numérique a apporté de nombreux autres avantages en peu de temps.

  • Dans le secteur public, on constate, comme évoqué, une augmentation significative de l’efficacité. « Pour la même somme d’argent que le gouvernement dépense en subventions et en allocations de sécurité sociale, il obtient un rendement beaucoup plus élevé » ajoute Sameer Narang d’ICICI. La perte de temps lors du renouvellement ou de la demande de documents officiels tels que le passeport, le permis de conduire, etc. est également réduite au minimum. « Si je devais auparavant actualiser mon permis de conduire, je devais trouver quelqu’un qui voulait le faire pour moi et le payer » explique Mukesh Malhotra, CEO de Solvay Inde. « Si je ne le faisais pas, je perdais une journée entière. Et à la fin de la journée, il y avait de fortes chances qu’après des heures d’attente, on trouve encore une petite erreur sur les documents et que je doive revenir le lendemain. »

    Grâce à la numérisation, c’est de l’histoire ancienne. « Je me connecte à mon DigiLocker. Le programme me demande de soumettre quelques documents. Je les télécharge et, dans la semaine, je reçois un message indiquant que tout est en ordre et je peux télécharger et imprimer mon nouveau permis de conduire si je le souhaite. Je n’ai plus de contact physique avec personne, avec l’avantage que la corruption est éliminée du système. Il y a toutefois un inconvénient : si vous tombez entre les mailles du réseau, qu’il y a quelque chose de particulier et que vous devez parler physiquement à quelqu’un pour résoudre ce problème, je vous souhaite bonne chance. » À terme, la digitalisation de nombreux aspects administratifs doit entraîner une augmentation de la productivité.

  • Grâce à GSTN, l’économie est également formalisée. La Goods & Services Tax est payée automatiquement. En outre, les revenus et les dépenses des entreprises peuvent être suivis automatiquement. « Ces paiements numériques entraînent des revenus fiscaux plus élevés » explique Narang.
  • Plus les paiements numériques sont nombreux, plus l’économie au noir est limitée. Cette réduction a également été réalisée par la démonétisation, qui a permis de retirer du marché les billets de 500 et 1.000 roupies du jour au lendemain. Ces deux billets de banque représentaient 86% de l’argent en circulation et ont eu de lourdes conséquences négatives sur l’économie. Pour les petits commerçants, le commerce – en espèces – est devenu très difficile. À l’origine, ils ont été remplacés par un billet de 2.000 roupies... ce qui a en fait facilité la détention d’argent au noir et ne pouvait donc pas être l’objectif. Ce dernier a ensuite été retiré du marché en 2000 et le billet de 500 roupies a été réintroduit dans une deuxième phase, mieux préparée. Détenir un million de roupies ou plus avec des billets de 500 roupies est déjà beaucoup moins pratique qu’en billets de 2.000 roupies.

    « En fin de compte, l’argent numérique a pris de l’ampleur » conclut Shumita Deveshwar de GlobalDataTSLombard. « Aujourd’hui, les gens ont de l’argent sur leur compte en banque plutôt que sous leur oreiller. Et il faut faire quelque chose avec cet argent. Depuis cette démonétisation, les investisseurs retail sont devenus beaucoup plus actifs. L’argent de la banque est investi dans des fonds d’investissement, souvent via des SIP ou Systematic Investment Plans. Dans ce cadre, un montant déterminé est automatiquement investi périodiquement dans un fonds d’investissement de votre choix. » Actuellement, 130 millions d’Indiens disposent d’un compte-titres.

  • Comme tout le monde peut avoir un compte bancaire, le nombre d’emprunts augmente. Il faut cependant éviter une explosion des prêts pour l’achat de biens de consommation. La Reserve Bank of India est très attentive à cette situation. « Il est toutefois frappant de constater que les clients les plus pauvres sont ceux qui posent le moins de problèmes pour rembourser leurs prêts », fait remarquer Narang.

    La possibilité de mettre automatiquement toutes les données personnelles à la disposition d’une banque lors de l’ouverture d’un compte permet un contrôle rapide du nouveau client. « Les banques qui utilisent l’e-KYC (Know Your Customer) ont vu leurs frais de compliance diminuer de moitié pour atteindre 0,06 dollar par client », explique le conseiller économique Nageswaran. « La DPI indienne a très nettement réduit les charges d’intégration des nouveaux clients de 23 dollars à 0,1 dollar. » 

  • Plus cette DPI est utilisée et plus les bases de données numériques sont combinées, plus il est possible d’en déduire des avantages supplémentaires. La combinaison de l’identité numérique Aadhaar avec des données sur la propriété foncière peut par exemple être utilisée pour déterminer la quantité d’engrais subventionné aux agriculteurs. Il s’agit d’un « case » qui est déjà testé dans certains états.

Grâce à un meilleur échange d’informations sur les données socio-économiques issues de différentes bases de données, le soutien social peut également être plus résilient et plus flexible afin d’atteindre plus facilement, par exemple, les migrants, les travailleurs informels et les plus pauvres des zones rurales de l’Inde. Il s’agit d’un « work in progress » : les pouvoirs publics construisent actuellement le portail eShram, une base de données centralisée de tous les travailleurs informels, y compris les ouvriers de la construction, les migrants, les travailleurs de l’économie de petits boulots et de plateformes, les agriculteurs et les travailleurs à domicile. La première priorité est également de les munir d’une identité numérique Aadhaar. La disponibilité des données socio-économiques est la clé pour atteindre les bénéficiaires visés. Le ciblage correct de ces bénéficiaires réduit à son tour les charges.

Le Covid a accéléré la digitalisation

L’accélération de la digitalisation et du déploiement de nouveaux outils présente également d’énormes avantages dans les soins de santé. Il y a beaucoup trop peu de médecins aujourd’hui en Inde. Pour atteindre le niveau prescrit par l’Organisation mondiale de la Santé, l’Inde en a besoin de 600.000 supplémentaires. D’autre part, on constate que les médecins n’utilisent pas leur temps de manière optimale. Un quart du temps, ils s’occupent de tâches administratives et d’autres tâches dont ils ne devraient pas se charger. En utilisant la technologie pour leur éviter ces tâches, 80% du déficit de médecins serait déjà résolu. 

La possibilité pour l’Inde de remédier à certaines de ces pénuries par le biais de la technologie est énorme. Et l’aide de la technologie dans la lutte contre le Covid en est un bel exemple. JAM, la combinaison des comptes bancaires Jan-Dhan, d’Aadhaar et de la téléphonie mobile, a joué le rôle de filet de sécurité pendant le Covid. Pendant le confinement, des millions d’Indiens ont reçu – rapidement – des milliards de dollars de soutien monétaire par le biais de toutes sortes de transferts directs d’aides d’État. La comparaison avec les États-Unis et le ralentissement qui y a été enregistré donne l’impression que ce pays est archaïque. L’administration fiscale Internal Revenu Service devait procéder à des contrôles préalables pour savoir qui avait ou non droit à un chèque. En octobre 2022, un an après le lancement de l’initiative américaine, 9 à 10 millions de citoyens n’avaient pas encore reçu leur chèque.

L’adoption du numérique par les Indiens pendant le Covid a, comme dans de nombreux autres pays, connu une nette accélération. La vaccination efficace de l’énorme population indienne était en grande partie due à l’utilisation de la technologie. Les cours en ligne ont été rapidement introduits, permettant également aux étudiants et aux enseignants ayant un accès limité à Internet de suivre les cours via des téléphones portables. Jio, la plateforme technologique de Reliance, a récolté 15 milliards de dollars pendant la pandémie auprès d’un groupe d’investisseurs, dont Facebook, avec la promesse d’offrir une « vie » numérique à chaque Indien. En 2020, Google a annoncé 10 milliards de dollars d’investissements supplémentaires au cours des 5 à 7 années suivantes. L’objectif est d’offrir un accès à Internet dans toutes les langues indiennes – et il y en a beaucoup – et d’introduire la technologie dans l’agriculture, la formation et les soins de santé. La population majoritairement jeune surfe avec enthousiasme sur la vague qui les submerge. Cela propulse l’Inde dans une nouvelle ère numérique.



[1] Estimation du CEO Dilip Asbe de National Payments Corporation of India, une collaboration entre la Reserve Bank of India et l’Association bancaire indienne.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population. En savoir plus

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