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Macroéconomie
28.03.2024
Koen De Leus Chief Economist

L’Inde déroule le tapis rouge pour les entreprises industrielles (Inde #6/10)

« L’Inde vous offre une croissance maximale : croissance d’échelle, croissance en termes d’ambition et croissance en termes de résultats. Venez en Inde et faites partie de notre scénario de croissance. » Tel était le message vidéo du Premier ministre Narendra Modi aux visiteurs du pavillon indien lors de l’Expo 2020 à Dubaï. L’Inde invite les entreprises à investir dans le pays, afin de tirer profit de la hausse de la consommation due à l’accroissement de la classe moyenne. Les gigantesques travaux d’infrastructure réduisent les coûts logistiques. Les subventions liées à la production sont la cerise sur le gâteau.

Sweet spot pour la consommation

« Bien qu’il nous ait été clairement indiqué que nous ne devons pas sous-estimer les difficultés liées à la complexité logistique et bureaucratique du marché indien – ces deux aspects étant encore amplifiés par la structure fédérale de l’État –, nous pensons que l’Inde offre des opportunités que les producteurs européens de biens de consommation de base ne doivent pas ignorer. » Au terme de leur voyage d’études de mai 2023, nos collègues de BNP Paribas Exane[1] sont clairement convaincus du potentiel énorme qu’offre l’Inde.

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Le profil démographique unique de l’Inde, la croissance rapide de la classe moyenne et les tendances en matière d’urbanisation et de numérisation font que le pays se trouve dans un « sweet spot » pour les biens de consommation, comme la Chine il y a 10 ans. « La population urbaine en Inde va croître en moyenne de +2,3% par an dans les années à venir, faisant passer le taux d’urbanisation de 33% en 2020 à 40% en 2030 (contre 61% aujourd’hui en Chine et 79% en Europe occidentale). La consommation par habitant augmente avec le revenu disponible. En 2019, le revenu disponible moyen par habitant s’élevait à 1.800 USD, ce qui est légèrement inférieur au revenu disponible moyen chinois de 2.600 USD en 2010. » Ce dernier a explosé pour atteindre 6.500 USD aujourd’hui, tout comme la consommation. Le montant que les Américains dépensent en biens de consommation est 5,5 fois plus élevé qu’en Chine et 30 fois plus élevé qu’en Inde. La consommation croissante des ménages restera le moteur de la croissance de l’économie indienne dans les années, voire les décennies, à venir.

Avec Aadhaar, un numéro d’identité unique à 12 chiffres sur base de leurs données biométriques, et le compte financier qui y est lié, les prêts et les achats à tempérament sont aujourd’hui aussi devenus une réalité pour de plus en plus d’Indiens. « C’est ainsi que l’Amérique a généré de la croissance dans les années 50 », explique le Dr Bhagwati, « distinguished fellow » pour le groupe de réflexion Centre for Social & Economic Progress (CSEP) et ancien ambassadeur à Bruxelles notamment. « Vous ne payez pas plein pot, mais seulement une fraction de la facture du produit que tu achètes. C’est tout à fait nouveau ici, surtout pour les gens de la campagne. Et lentement, le nombre de personnes pour lesquelles cela est possible passe de 50 millions à 100, 200, 400 millions. Si le financement à la consommation ne devient déjà accessible qu’aux personnes qui migrent vers les villes – dont le nombre est en forte hausse–, on obtient de toute façon un boom de la consommation des ménages. »

Classe moyenne émergente et e-commerce

En 2004, 14% de la population indienne appartenait à la classe moyenne. Aujourd’hui, on est à 31%, soit 450 millions de personnes. La classe moyenne va par conséquent propulser l’économie indienne au cours des prochaines décennies. « L’Oréal se concentre sur la classe moyenne supérieure de 200 à 300 millions de personnes », m’explique Stijn Rijckbosch, CFO de L’Oréal India. « Nous ne vendons pas des sodas, ni de l’eau. Nos produits sont un peu plus chers. Mais le nombre de personnes plus aisées va lui aussi augmenter. Notre groupe cible devrait doubler dans les 5 à 10 prochaines années.» Les consommateurs viennent vers nous à partir d’un revenu de 20 dollars par jour. » Selon nos collègues de BNP Paribas Exane, cette classe plus nantie devrait augmenter de 14 points de pourcentage (!) d’ici 2030 pour représenter un quart de la population indienne. Mais il y a encore un facteur spécifique qui stimulera la croissance de L’Oréal. « Les femmes jouent un rôle de plus en plus important dans la société indienne. Cela les incitera à acheter davantage de produits de beauté. »

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Et puis il y a encore le pas vers l’avant sur le plan numérique (nous y reviendrons plus tard). Jean-Paul Agon, ancien CEO de L’Oréal, a clairement résumé les avantages de l’e-commerce pour l’expansion rapide de la distribution dans les petites villes lors d’une conférence en 2019 : « Ce qui est formidable pour nous, c’est que l’e-commerce nous aide à étendre notre portée bien au-delà de la distribution traditionnelle. En tant qu’entreprise de produits de beauté, il nous a très longtemps été difficile d’aller très loin dans la distribution dans des pays tels que l’Inde, la Chine, l’Indonésie, etc. L’e-commerce a résolu ce problème et nous pouvons à présent atteindre chaque consommateur dans n’importe quelle partie du pays. »

Le gouvernement prend lui-même en main les investissements dans l’infrastructure

L’Inde se pare de ses plus beaux atours pour attirer et accueillir ces entreprises étrangères. Des réformes sont mises en œuvre, et l’on espère même qu’elles passeront à la vitesse supérieure après la réélection probable de Modi. Jusqu’il y a peu, le manque d’infrastructures était un obstacle important pour les entreprises étrangères dans ce pays gigantesque. C’est à ce niveau que l’Economist Intelligence Unit (EIU) s’attend aux plus importants progrès dans les années à venir. L’Inde passerait ainsi de la place 62 sur 82 pays (2019-2023) à la place 51 pour la période 2024-2028 dans le classement des « environnements pour les entreprises » de l’EIU.

« Nous avons été étonnés par la rapidité du développement depuis notre dernière visite en 2018 », écrivent nos collègues dans leur rapport. « De nouvelles routes, des lignes de métro et un grand centre commercial à Mumbai en sont quelques exemples. On sent tout simplement la croissance. » Le Premier ministre Modi a augmenté les dépenses d’infrastructure de 1.000 milliards de roupies pour l’exercice 2015 à environ 8.000 milliards de roupies pour le dernier exercice. « Auparavant, le gouvernement comptait sur le secteur privé pour ces investissements », m’explique Shumita Deveshwar de TSLombardGlobalData. « Mais cela n’a pas fonctionné. Jusqu’à il y a quelques années, les banques étaient confrontées à de nombreux prêts douteux et elles était devenues peu disposées à prendre des risques. Les pouvoirs publics se sont finalement rendu compte qu’ils devaient investir eux-mêmes des fonds. Le développement de l’Infrastructure est de toute façon considéré comme l’une des tâches principales des autorités publiques. »

Attention : l’Inde n’est pas non plus la Chine dans ce domaine. « L’explosion immobilière et les surinvestissements dans des bâtiments en Chine étaient financés par l’État », observe Raman Madhok, conseiller en diplomatie économique pour le consul général belge à Mumbai. « En Inde, l’infrastructure de base est payée par le gouvernement et les États pour attirer des investisseurs privés. Sans quoi ils ne viendraient jamais. Mais maintenant que l’infrastructure est tout doucement présente, les investissements privés suivent également. Ces investisseurs sont nettement plus prudents qu’un gouvernement chinois, ce qui fait que le risque de surinvestissement est moindre. »

Accélération des travaux routiers pendant la Covid

Le gouvernement prévoit pour l’exercice budgétaire en cours une dépense de près de 20% du budget public en investissements en capital. C’est le pourcentage le plus haut depuis au moins dix ans. La construction de routes et d’autoroutes (Bharatmala), de ports (Sagamala), d’aéroports régionaux pour désenclaver des localités jusqu’à présent difficiles d’accès (Udan), et de corridors de fret spécifiques devrait être terminée d’ici fin 2027/2028, ce qui devrait permettre d’améliorer progressivement la connectivité.

« Ce pont pour la ligne de métro aérienne que l’on voit depuis ce bureau, ils n’y travaillaient pas encore l’année dernière », m’explique Muhammad,[i] un contact important qui veut rester anonyme. « Sa construction est particulièrement rapide. Pendant la Covid, des travailleurs à la journée ont simplement continué d’y travailler. Car s’ils ne travaillaient pas, ils n’avaient pas de revenu. Permettre cela a été une décision judicieuse du gouvernement. Parce que comme il n’y avait personne dans la rue, tout a été beaucoup plus vite. » Le nombre record de 13.298 kilomètres, soit 36,4 kilomètres par jour, a été atteint pendant l’année de la pandémie 2020-21. Ce rythme s’est ensuite ralenti à 29 kilomètres par jour pour les exercices 2022 et 2023. Pour l’année fiscale 2024 en cours, le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux de 45 kilomètres par jour. « L’objectif officiel serait toutefois plutôt d’atteindre les 35 kilomètres en raison des retards dans l’obtention des permis et dans l’achat des terrains », écrit le journal financier Mint. Il y a certaines choses qui ne changent pas vite en Inde.

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Smart cities

Les travaux d’infrastructure ne se limitent pas aux voiries. Les investissements annuels totaux dans l’infrastructure ferroviaire ont quadruplé depuis 2015. Le réseau de métro opérationnel compte actuellement un peu moins de 900 kilomètres de voies répartis dans 20 villes, mais il y a encore 1.100 kilomètres de nouvelles lignes à réaliser. Ceux-ci seront également construits dans de nouvelles villes.

Aujourd’hui, 67% de la population vit dans des zones rurales, contre 85% dans les années 60. « Les citoyens veulent migrer massivement vers les villes », m’explique Muhammad. « Mais si tout le monde le fait et se dirige vers les cinq villes historiquement les plus importantes, elles vont craquer. Elles ne peuvent pas absorber une telle masse de gens. » Selon la World Population Review, la population actuelle de Mumbai, Delhi, Bangalore, Calcutta et Chennai s’élève respectivement à 12,7 millions, 10,9 millions, 5,1 millions, 4,6 millions et 4,3 millions d’habitants.

« Alors, qu’a fait le gouvernement en 2015 ? Il a promu cent 'smart cities'. Les villes de plus petite taille ont bénéficié d’une aide publique pour tous les services et infrastructures tels que l’approvisionnement en eau, les transports publics, les logements accessibles aux plus démunis, etc. Le flux migratoire peut ainsi être réparti sur toutes ces villes. « Tout est prévu pour les citoyens, mais aussi pour les entreprises. La prochaine fois que vous venez en Inde, vous devez vous rendre dans plusieurs de ces villes de niveau deux ou trois au lieu de Mumbai et Delhi. Vous remarquerez qu’elles peuvent parfaitement rivaliser avec ces grandes villes en matière d’infrastructures et de développement économique. »

Plug and play

La croissance et l’importance de ces villes ont été sérieusement stimulées par la Covid. « Les personnes éduquées ont soudainement pu travailler à domicile », explique Madhok. « Les six mois de la Covid ont permis aux entreprises de faire un pas en avant d’au moins dix ans en matière d’environnement de travail, et elles se sont très rapidement adaptées à cette nouvelle réalité. Grâce à la possibilité du télétravail, les villes de niveau deux et de niveau trois se sont développées à vue d’œil. De nouveaux bâtiments y ont été construits, ainsi que de nouveaux centres commerciaux, et ceux-ci ont à leur tour généré plus de travail et de revenus. Quand vous voyez tout cela se produire, il faut quand même être particulièrement réfractaire aux risques pour ne pas vouloir être présent ici en tant qu’entreprise de consommation. »

Pune, avec ses 6,2 millions d’habitants, est l’une de ces villes en pleine mutation. Il y a des chantiers partout, des gratte-ciels semi-finis et une ligne de métro aérienne en construction, explique le journaliste Nico Tanghe du Standaard[2] dans son rapport de voyage. Auparavant, il fallait sept heures pour parcourir les 165 kilomètres qui reliaient la ville à Mumbai – un jet de pierre à l’échelle de l’Inde. Une nouvelle route à péage a réduit ce trajet à 3,5 heures. Et une troisième autoroute en construction doit encore diviser ce temps de trajet par deux. L’aciérie Bekaert y a installé une usine ultramoderne sur l’un des grands sites industriels « cinq étoiles » en périphérie de Pune spécialement aménagés par le gouvernement indien. « Toutes les facilités sont présentes ici », déclare le directeur local Srikanth Chakravarthy. « Tout est prêt pour les entreprises industrielles qui veulent s’installer ici, c’est le principe du 'plug and play'. »

Baisse des impôts pour les sociétés

Ces entreprises industrielles sont également attirées par la forte baisse des impôts opérée en 2019. « C’est d’ailleurs la deuxième année de suite que les impôts payés par les personnes dépassent ceux des entreprises », fait remarquer Thomas Easton (thomaseaston@substack.com) dans son hebdomadaire en ligne « India Business and Finance ». « Je suppose qu’il s’agit d’une stratégie délibérée des pouvoirs publics pour réduire les charges des entreprises afin de stimuler la croissance. »

Un élargissement de la base imposable représenterait une augmentation gigantesque des impôts – et donc des moyens de fonctionnement – pour les pouvoirs publics. En 2014, seuls 34 des 200 millions de travailleurs non agricoles ont payé des impôts. « Suite aux réformes mises en œuvre, ce nombre est entre-temps passé à entre 75 et 78 millions », déclare Roopa Purushothaman, Chief Economist de Tata Group. « C’est encore loin d’être toute la population active, mais avec la digitalisation mise en place par les pouvoirs publics, ce nombre va encore augmenter. »

Make in India

Le programme « Make in India » a été créé en 2014. La croissance du secteur industriel serait portée à 12 à 14% par an pour créer 100 millions d’emplois supplémentaires d’ici 2022. D’ici à cette date – qui a récemment été reportée à 2025 –, le secteur représenterait un quart du PIB. La croissance sectorielle est toutefois restée à environ 7% par an sur la période 2014/2015-2019/2020, identique à la croissance économique. La part de l’industrie est ainsi restée stable.

Pourtant, Mukesh Malhotra, le CEO de Solvay India, continue d’y croire. « Je suis convaincu que les investissements dans l’industrie indienne augmenteront considérablement dans les années à venir. L’Inde n’a pas d’autre choix. » Il trouve normal que les entreprises étrangères soient sceptiques. « Par le passé, l’Inde a toujours fait beaucoup de bruit sans jamais que cela ne donne des résultats concrets. Donc, ces déclarations audacieuses de l’Inde ne sont pas forcément prises au sérieux, surtout quand on a déjà eu une mauvaise expérience. Mais l’Inde a besoin de technologie, et les entreprises multinationales qui en disposent se voient dérouler le tapis rouge. Tous les mois, il y a au moins deux États qui m’appellent pour me demander de les rencontrer pour discuter de nouveaux investissements. »

Repenser pour le marché indien

Cet appel à la technologie a également été remarqué par Poul Jensen, directeur général du European Business and Technology Centre. « De la technologie au prix le plus bas, adaptée à l’environnement indien. Qu’est-ce que cela implique ? Que vous deviez collaborer avec des Indiens, que vous fassiez votre R&D ici, et de préférence en collaboration avec des universités. Le bureau de consultance Accenture emploie déjà 300.000 personnes en Inde. Phillips y fait beaucoup de recherches. En raison des solides compétences mathématiques des Indiens, il s’agit surtout d’analyser des big data, mais de plus en plus aussi de repenser des produits pour le marché indien. »

Cette étape de reconception selon les critères indiens est souvent nécessaire. « Vous savez, j’avais une Toyota et une Mercedes », explique le Dr Bhagwati. « Le système de climatisation dans ces deux voitures, c’est le jour et la nuit. Pourquoi cela ? Les Japonais viennent ici et veulent d’abord apprendre à connaître les gens et leur environnement. Ils aiment le golf. Ils vont alors faire du golf à Delhi, puis prennent leur voiture pour se rendre à Chennai, par exemple. Mais en attendant, ils ont pratiqué le golf pendant quelques jours sous 47 degrés Celsius ou plus. Alors ils reviennent au Japon et disent à leur patron : 'J’ai fait quelques belles parties de golf, mais je n’ai pas pu dépasser le trou numéro 10. Au Japon, j’arrive au 36 sans aucun problème. Mais avec la chaleur qu’ils ont là-bas...' Cette expérience se traduit alors par l’installation de climatiseurs beaucoup plus puissants, spécifiquement conçus pour le marché indien. Oublie ça avec les Allemands. »

Cricket versus basketball

Une variante de cette histoire est celle de Puma et Nike. « Nike n’est pas une marque en Inde », déclare Harsha Raghavan, managing partner de la société de capital-risque Convergent Finance. « Nike a une stratégie commerciale globale dont elle ne veut pas s’écarter. Les ambassadeurs de sa marque sont Michael Jordan et Tiger Woods. Mais qui joue au basket en Inde ? Ou au golf ? Nike a investi près de 2 milliards de dollars ces dernières années. En contrepartie de quoi la marque n’a engrangé que 5 millions de revenus par an. Un échec total. »

Son concurrent Puma, en revanche, s’y est nettement mieux pris. « Ces 20 dernières années, Puma a investi environ 30 millions de dollars, pas plus. Les ventes se chiffrent aujourd’hui en milliards. » Lorsque Puma a recruté une équipe marketing indienne, elle a clairement indiqué qu’elle n’avait pas de sponsoring global et que l’équipe devait se débrouiller avec ce « petit » budget. « Faites ce que vous pensez devoir faire avec, a-t-on dit à l’équipe marketing », poursuit Raghavan. « Et c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont engagé des joueurs de cricket, des icônes du sport national indien. Ils ont compris comment ça se passe en Inde et ont réussi à faire quelque chose qui convenait à ce pays avec beaucoup moins d’argent. L’Inde ne fait pas partie du marché mondial. C’est un marché en soi ! »

Schéma d’investissement lié à la production

« Si vous réussissez en Inde, vous réussirez aussi ailleurs », explique Jensen. « Ce développement conjoint de produits adaptés avec les Indiens a également permis à General Electric de faire son beurre, par exemple. Ils ont développé un défibrillateur portable bon marché qui pouvait ensuite être exporté vers d’autres pays. »

Ces derniers temps, les entreprises étrangères semblent être de plus en plus enthousiastes vis-à-vis de l’Inde, d’autant plus que la Chine est de plus en plus difficile sur le plan politique. L’un des piliers du programme « Make in India » est le schéma d’investissement lié à la production (ou « Production Linked Investment » (PLI)), qui accorde des subventions aux entreprises pour installer des centres de production en Inde. « C’est ce qui a enfin fait le succès de 'Make in India' », explique Mukesh. « Jusque-là, c’était juste un slogan. » À l’origine, l’Inde a sélectionné 14 secteurs pour lesquels elle souhaite devenir un producteur mondial, principalement des secteurs high-tech. Elle souhaite que l’importation remplace l’exportation dans ces secteurs. Les acteurs du marché voient dans le schéma PLI un signal indiquant que le gouvernement veut collaborer avec le secteur privé. Selon le FMI, le coût est limité, mais la création d’emplois prévue – 6 millions, soit 2 à 4% du nombre total d’emplois nécessaires, est également très faible.

Créer de l’emploi

C’est aussi la principale critique d’Amitabh Dubey, analyste politique au bureau d’études GlobalDataTSLombard. « Les secteurs sélectionnés tels que la chimie, les téléphones, les ordinateurs, les véhicules électriques, les batteries, etc. sont très gourmands en capital. Vous investissez donc tout votre argent dans des secteurs spécialisés qui ne créent que peu d’emplois ? C’est une erreur. Ce dont l’Inde a besoin, c’est de l’industrie de l’habillement, du textile, du cuir, du mobilier, etc., des industries simples à forte intensité de main-d’œuvre, pour des personnes ayant un enseignement primaire. Nous devons créer des emplois. Et la moindre roupie que vous dépensez pour attirer des entreprises doit poursuivre cet objectif. »

Au cours de l’exercice budgétaire précédent, qui s’étend jusqu’en mars 2023, près de 50% des 12 millions d’emplois créés se trouvaient dans les secteurs de l’IT, de la finance et de la banque, selon une enquête menée par la Banque de Baroda. « L’augmentation du nombre de travailleurs industriels au sens large ne présente clairement– à nouveau – pas de caractéristiques similaires à celles de la Chine », fait remarquer Thomas Easton. Dubey donne l’exemple de Micron : l’entreprise construit une usine pour tester des puces à Gujarat. « Ce projet est à 70% à la charge de l’Inde : 70% ! Je pense que Micron réalisera un beau retour sur investissement », souligne-t-il.

Le moteur de croissance de l’économie des pays émergents est plutôt une combinaison de capital et de travail ; en Inde, la croissance est ces derniers temps principalement tirée par le capital. L’économie se développe à vue d‘œil, mais la croissance de l’emploi reste à la traîne. Cette dernière est néanmoins indispensable si elle veut récolter son dividende démographique. À défaut de quoi seules les inégalités augmenteront parallèlement à la croissance.

 



[1] India’s decade: key learnings from our field trip, BNP Paribas Exane, 31 mai 2023

[2] Nico Tanghe, « Is alles binnenkort ‘Made in India' », De Standaard, 28 octobre 2023



[i] Muhammad est un prénom fictif.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population. En savoir plus

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