De sombres nuages s’accumulent sur l’économie mondiale en raison de l’incertitude sur la guerre commerciale et le ralentissement de croissance en Chine. «Nous avons récemment revu à la baisse nos prévisions pour l’économie américaine, de 2,7 % à 2,1 % pour 2019, déclare Koen De Leus, Chief Economist de BNP Paribas Fortis. Pour 2020, nous restons coincés à 2 %. En ce qui concerne la zone euro, nous maintenons une croissance de 1,1 % en 2019 et de 1 % en 2020, par rapport à 1,8 % l’an dernier. La Belgique est dans le sillage de l’Europe.»
Là où nous attendions deux nouvelles hausses des taux d’intérêt au début de l’année, nous prévoyons maintenant encore deux baisses des taux avant fin 2019, suivies d’une troisième l’année prochaine. Presque tout le monde s’attendait à ce que Draghi renonce à son temple monétaire européen en appliquant une première hausse des taux d’intérêt. Récemment, il a toutefois ouvert la voie à une baisse des taux. «Momentanément, nous gardons encore à zéro le taux d’intérêt à court terme, mais il est clair que la BCE conserve suffisamment de munitions pour assouplir sa politique», souligne Koen De Leus.
La japonisation de l’Europe
Ce n’est pas seulement à court terme que la guerre commerciale a une incidence sur l’économie. L’incertitude créée par le président Trump quant à un monde sans frontières fait naître le doute dans l’esprit des entrepreneurs lorsqu’il s’agit d’effectuer des investissements d’expansion axés sur les débouchés extérieurs. À long terme, cela pèse sur la globalisation. La lente croissance du commerce mondial risque ainsi de freiner la croissance mondiale au lieu de lui donner un coup d’accélérateur. Si l’on ajoute à cela le risque croissant d’un Brexit dur, l’Europe n’est pas loin d’une récession.
Nous ne sommes pas loin non plus d’une japonisation de l’Europe, une économie caractérisée par une faible croissance réelle auto-entretenue et une inflation basse (voire négative), en association avec de faibles taux nominaux et une courbe des taux plane. «Avec sa croissance et son inflation structurellement basses et une main-d’œuvre presque en baisse, l’Europe présente sûrement quelques similitudes avec le Japon, pointe le Chief Economist de BNP Paribas Fortis.
Mais il y a aussi des différences, comme les perspectives d’inflation toujours légèrement plus favorables, et un plus faible risque d’effondrement des salaires (forte syndicalisation). Quoi qu’il en soit, le message est que dans le cas d’une nouvelle récession, la BCE aura besoin d’alliés. Nos gouvernements doivent effectuer des réformes, y compris le développement d’une union politique et budgétaire ainsi que la finalisation de l’union bancaire.»
La Belgique est-elle ‘FutureProof’ ?
La Belgique est-elle prête pour un monde dans lequel les pays devront davantage se débrouiller seuls et où le risque d’une japonisation sera en augmentation ? Afin de répondre à cette question, le département Economic Research de BNP Paribas Fortis a développé l’indice ‘FutureProof’. Au moyen de trois paramètres, cet indice mesure comment la Belgique s’en sort comparé aux autres pays de l’UE, et ce dans quatre domaines importants : la productivité, le marché du travail, les pouvoirs publics et les facteurs environnementaux.
La Belgique occupe la 16e place dans le classement total des 28 pays de l’UE. Notre pays enregistre d’excellents résultats en matière de recherche et développement et de bons résultats sur le plan de la qualité de l’enseignement. Mais en ce qui concerne la formation continue, nous ne nous situons que tout juste au-dessus de la moyenne, de sorte que la note globale en matière de productivité s’établit à 67 %.
Dans les autres domaines, les résultats sont toutefois beaucoup moins bons. Nous avons beau obtenir une excellente note pour notre niveau de préparation à l'ère numérique, la saturation de notre réseau routier et le vieillissement font baisser la moyenne pour les facteurs environnementaux. Dans le domaine des pouvoirs publics, l'importante dette publique et la complexité de la réglementation font passer notre score sous la moyenne européenne.
Mais c'est surtout pour le marché du travail que la situation est déplorable. Le taux de vacance d'emploi, c'est-à-dire la proportion des offres qui ne trouvent pas preneur, est le plus élevé d'Europe. Le taux d'emploi est très médiocre. Enfin, le pourcentage de jeunes désœuvrés, qui ne vont pas à l'école, ne travaillent pas, ni ne suivent de formation, est un rien meilleur que la moyenne mais il faut savoir qu'à peine un quart des pays de l'Union européenne font moins bien dans le domaine du marché du travail.
En résumé, l’indice met donc en garde la Belgique, qui doit d’urgence mettre de l’ordre chez elle. L'avantage de cette piètre note réside dans son énorme potentiel d'amélioration si nous prenons les bonnes mesures. Quant à savoir si ces mesures auront un effet bénéfique, nous suivrons la situation de très près au moyen de ce nouvel indice ‘FutureProof’ de BNP Paribas Fortis, ces prochaines années.
La géopolitique vs les banques centrales
Depuis le début de cette année, le redressement des marchés des actions que nous avions anticipé lors de nos dernières prévisions en décembre 2018 s’est confirmé. Il s’est cependant manifesté un peu plus tard que prévu, et a été bien plus fort que nous ne le pensions.
L’année dernière, le solide contexte économique et l’excellente performance des entreprises (bénéfices des entreprises) ont pour ainsi dire été noyés par les inquiétudes géopolitiques (guerres commerciales, Brexit, arrêts des activités gouvernementales, …). À cet égard, il ne faut pas oublier cependant que les banques centrales, et en particulier la Réserve fédérale, étaient en train de resserrer progressivement leur politique de taux (en ce qui concerne la marge, car en termes absolus les taux d’intérêt sont évidemment restés extrêmement bas). La forte baisse observée peu avant Noël s’est surtout produite parce qu’à ce moment-là, Jerome Powell semblait avoir peu envie d’arrêter son cycle de hausses des taux d’intérêt.
Après Noël, il a toutefois entièrement changé de discours. Tout d’un coup, les baisses des taux d’intérêt ont été balayées et le bilan ne devait plus nécessairement être réduit, avec les conséquences que l’on connaît : le meilleur mois de janvier en plus de 30 ans. Le président américain Donald Trump a lui aussi placé son mot en tweetant régulièrement sur la conclusion imminente d’un grand accord commercial avec la Chine.
Cependant, lorsqu’il est apparu clairement que l’accord commercial se ferait attendre encore un peu, le rallye s’est également arrêté sur les marchés des actions, et des prises de bénéfices ont commencé à se voir par-ci par-là. L’incertitude a aussi clairement commencé à peser sur l’économie (mondiale) réelle. Il est temps pour les banquiers centraux de prendre de nouvelles mesures. Tant la BCE que la Fed ont récemment affirmé qu’elles se tenaient prêtes à soutenir l’économie si besoin mais aussi, indirectement, les marchés.
Un équilibre de marché (instable)
«Tout cela nous amène actuellement à un équilibre – bien qu’instable – du marché, où ni les taureaux ni les ours ne l’emportent, constate Philippe Gijsels, Chief Strategy Officer de BNP Paribas Fortis. L’aspect négatif est le ralentissement de l’économie mondiale et la régression des bénéfices des entreprises qui pourrait y être liée. En outre, les inquiétudes géopolitiques semblent augmenter en force et en nombre plutôt que de diminuer.»
D’autre part, les banques centrales se tiennent à nouveau prêtes à inonder le monde de liquidités et Donald Trump peut à tout moment faire sortir un lapin de son chapeau. «Il ne faut pas non plus oublier qu’en raison des rachats d’actions par les entreprises (surtout aux États-Unis) et des taux d’intérêt extrêmement bas, il circule encore énormément de liquidités dans le système à injecter dans le marché, insiste Philippe Gijsels. Cela devrait permettre d’amortir une trop forte baisse. Aussi une pondération neutre sur les actions semble-t-elle la conclusion logique.»
Obligations et autres investissements
Dans les marchés obligataires (sur lesquels la banque est sous-pondérée), il devient de plus en plus difficile de trouver encore quelque rendement. À cet égard, nos yeux se tournent surtout vers les marchés en expansion (présentant une bonne diversification), les obligations d’entreprises et les couronnes norvégiennes.
Le département Investment Strategy pointe également des possibilités intéressantes dans les investissements alternatifs. L’investissement dans des thèmes à long terme tels que le vieillissement, la cybersécurité, l’eau et les systèmes énergétiques intelligents est effectué à chaque fois qu’un recul significatif se produit. « Les pays émergents restent également intéressants à long terme. Pouvons-nous nous permettre de ne pas investir en Chine à plus long terme ? », s’interroge le responsable de la stratégie d’investissement de BNP Paribas Fortis.
En ce qui concerne le prix du pétrole, la banque considère que la barre des 60-70 USD est ‘le nouveau 100 USD’. Il y a pour les matières premières (les métaux) une énorme opportunité à long terme : du fait qu’il y a actuellement un sous-investissement, nous serons peut-être confrontés à des déficits et des prix plus élevés dans 3 ou 4 ans.
L’or, enfin, a encore sa place dans ce monde incertain. Nous approchons à nouveau le plafond de 1350 à 1373 USD. «Si nous brisions ce plafond, cela pourrait ouvrir la porte à des niveaux structurellement plus hauts. Nous vivons à une époque passionnante…», conclut Philippe Gijsels.
Note : ce texte a été rédigé à la date du 21 juin 2019