Quelques jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, la Banque Centrale a annoncé la fermeture temporaire de la bourse pour éviter une débâcle sans nom. En quelques jours, le rouble avait perdu près de 40% face au dollar, les taux d’intérêt s’étaient envolés et il fallait éviter une déroute boursière. Le conflit s’installe à présent dans la durée et les autorités ont prolongé la fermeture des marchés au moins jusqu’au 18 mars.
Défaut sur $100 milliards d’obligations en vue
Les actions telles que Gazprom ou Lukoil qui continuent d’être cotées à Londres ont fondu, perdant plus de 90% en quelques jours, tandis que les obligations émises en devises étrangères sont proches du défaut de paiement. Elles ne savent en effet plus payer les coupons en devises, soit parce qu’elles n’y ont plus accès, soit parce que le gouvernement russe l’interdit. Vladimir Poutine autoriserait certains paiements mais en roubles, ce qui représenterait de toute façon une fameuse perte pour l’investisseur. Aujourd’hui, le gouvernement russe doit payer $117 millions d’intérêt sur une obligation et comme il envisage de le faire en roubles, nous pourrions très bien être à la veille du plus grand défaut de paiement du pays depuis 1917. Le défaut de 1998 dont tout le monde se souvient portait lui sur la dette domestique. Au total, la Russie (état et entreprises) a émis environ $105 milliards d’obligations en devises étrangères, aujourd’hui menacées de défaut de paiement.
Conséquences à travers la planète
Les actifs financiers russes se trouvent dans de nombreux produits de placements dits « émergents », de sorte que la débâcle financière de Moscou a de sérieuses conséquences pour les investisseurs qui se retrouvent exposés sans parfois en être conscients. Les fonds émergents ont été largement vendus partout dans le monde depuis de nombreuses années, car jusqu’il y a peu, la dette russe bénéficiait d’un rating correct. L’éventail des investisseurs est donc extrêmement large et couvre la planète entière. En conséquence des sanctions financières imposées par la communauté internationale à la Russie figure le gel des cotations de nombreux fonds exposés aux actifs russes. Tous les grands noms de la finance se retrouvent pris au piège : Pimco, Goldman Sachs, BlackRock et les premiers chiffres publiés sur l’impact du conflit en Ukraine donnent le vertige car ce sont des milliards qui se sont envolés en quelques jours. La plupart ont choisi de ne plus coter les trackers russes, ni les fonds émergents trop exposés à la Russie, de sorte que les investisseurs n’ont aucune idée de l’ampleur de leurs pertes à l’heure actuelle, ni de quand ils pourront sortir et récupérer leur argent. C’est le flou total.
D’après les détails publiés dans la presse par plusieurs gestionnaires de fonds, il apparait que quelques grandes entreprises russes figurent dans le top des expositions de très nombreux fonds émergents : Lukoil, Gazprom, Sberbank, Novatek, Rosneft, Norilsk Nickel, ce qui signifie que l’onde de choc sera importante.
Personne ne communique encore sur la taille des pertes enregistrées à ce jour, après 3 semaines de guerre parce que les marchés sont fermés et qu’on navigue à vue. Ce type de fonds a été très largement vendus en dehors de Russie, aux USA et en Europe et les dégâts pourraient s’avérer importants.
Le plus grand fonds de pension américain, Calpers, qui gère les retraites des fonctionnaires de Californie, détenait ainsi $420 millions d’actions russes et $345 millions en immobilier russe au moment de l’invasion russe en Ukraine. L’exposition à la Russie n’est que de 0,2% de ses actifs totaux, mais ces positions occasionnent de nombreux tracas car il a été impossible de vendre quoi que ce soit depuis le début du conflit et qu’il faut à présent attendre et croiser les doigts.
Quelle issue ?
Il est évident que le gouvernement russe ne devrait pas autoriser la faillite d’entreprises dans lesquelles il détient une partie du capital, mais on sait aussi qu’en Russie, ni le gouvernement ni les entreprises publiques ne sont particulièrement bienveillants envers les actionnaires. On peut alors imaginer que ces entreprises ne seront pas autorisées à s'effondrer, mais elles pourraient faire défaut sur leurs obligations, et lors d'un renflouement, l'État pourrait simplement prendre entièrement le relais et anéantir la participation des autres actionnaires, ou les diluer tellement que cela reviendrait au même.
Ces considérations financières passent évidemment bien après les conséquences tragiques de l’invasion russe en Ukraine, mais cette crise révèle de nouvelles faiblesses et de nouveaux risques auxquels de très nombreux investisseurs européens et américains se retrouvent exposés sans y être préparés.