Ce sont principalement les huiles alimentaires, la farine et les céréales qui sont devenues beaucoup plus chères. En avril, la hausse a surtout concerné le prix du pain, mais aussi celui de la viande et des légumes. Au cours de ce même mois, les Belges ont payé plus de 5% de plus qu’il y a six mois, tandis que l'augmentation dépassait les 6% pour l’ensemble de la zone euro.
Des problèmes plein l'assiette
Le port d’Odessa est verrouillé. Normalement, c’est de là que partent la quasi-totalité des céréales exportées par l'Ukraine. Aujourd’hui, les céréales restent où elles sont et l’approvisionnement alimentaire international est lacunaire. L’Europe est déjà intervenue en adoptant un paquet de mesures de soutien pour nos agriculteurs, mais cela suffira-t-il à normaliser les prix ?
The Economist a calculé que 80% de la population mondiale réside dans des pays qui recourent à l'importation nette de produits alimentaires. La pandémie a ébranlé le commerce international, et à cela s'est ajoutée l’invasion russe. Ce qui a entraîné une réaction en chaîne : actuellement, 26 pays limiteraient au moins partiellement leurs exportations alimentaires. Cela représente en définitive 15% de toutes les calories négociées dans le monde.Mais il n'y a pas que la nourriture en tant que telle qui est difficile à trouver. La Russie est l’un des plus grands producteurs des trois principaux engrais industriels. La hausse des prix de l’énergie pèse elle aussi sur la production de ces mêmes engrais. Au total, quelque 47 millions de personnes supplémentaires risquent d'être confrontées à une famine aiguë.
La météo joue également un rôle important. Les scientifiques de la NASA ont calculé l’impact du réchauffement climatique. Ils voient la probabilité de mauvaises récoltes successives augmenter fortement dans presque toutes les grandes régions productrices de céréales du monde, passant d’environ 1% par an aujourd’hui à plus de 5% d’ici quelques décennies.
Comment pouvons-nous nous prémunir contre ce risque ?
Utilisation optimale des solsLes magiciens des données d’OWID (Our World In Data) ont cartographié la manière dont nous exploitons la surface de notre planète. À peine 1% – et c'est un chiffre étonnant – de la surface habitable est bâti, tandis que près de 40% sont boisés. La majeure partie, la moitié pour être précis, sert à des fins agricoles. Et ces terres agricoles n'affichent pas toutes un rendement égal, loin s'en faut.
À l’échelle mondiale, nous consacrons à peine un quart de toutes les terres agricoles à des cultures destinées à la consommation humaine. Ces cultures représentent toutefois 82% de l’apport calorique global et 63% de nos protéines. Le reste sert de pâturage ou accueille des plantations pour la consommation animale.
L’agriculture nous permet donc d'avoir des produits d'origine végétale et animale dans notre assiette. La carte du monde, ci-dessous, permet de localiser l’origine des différentes productions, les terres utilisées pour les produits d’alimentation animale étant indiquées en violet*. Il est frappant de constater que les pays occidentaux (riches) misent surtout sur la production animale.
Dans l’UE, nous cultivons principalement du blé, des céréales et de l’orge, dont environ un tiers est destiné à la consommation humaine. Plus de la moitié finit en aliments pour animaux. Et cette situation est de moins en moins tenable.
Mesurer la nourriture
Il y a près de dix ans, Emily Cassidy s’est penchée sur les différences au niveau des cultures, d’une région à l’autre. Il ressort de son analyse que le tonnage des rendements agricoles par hectare est nettement plus élevé dans les pays occidentaux que dans le reste du monde. Cela est notamment dû à une fertilisation plus importante et plus efficace. Cependant, c'est aussi à l’ouest que les cultures sont un peu plus fréquemment destinées à nourrir le bétail.
Cassidy a plaidé pour que l’on examine ce qui se retrouve effectivement dans notre assiette. Cela change complètement la donne. Plus notre régime est riche en produits d'origine animale, plus la surface nécessaire pour nourrir une seule personne est grande. Et c’est précisément dans les pays plus riches que la viande est plus souvent présente à table. Selon l’OWID, un Américain moyen mange en effet 30 fois plus de viande par an que son équivalent en Inde.
Ce constat était également le fil rouge des recommandations formulées par le World Resource Institute (WRI) au début de l’invasion russe. Nous pouvons considérablement faciliter l’approvisionnement alimentaire mondial en utilisant mieux les terres agricoles existantes. Un glissement vers des cultures directement consommables s’impose, y compris dans les pays riches.En 2013, Cassidy avait déjà calculé qu’un passage complet à une consommation végétale pourrait permettre de nourrir environ quatre milliards de bouches supplémentaires, avec une utilisation des terres inchangée. Dans l'intervalle, nous sommes un demi-milliard de plus et les rendements agricoles s'amenuisent en raison du réchauffement climatique. Les besoins sont donc loin de diminuer.
Un steak belge typique requiert plus de 20 fois plus de terres agricoles qu’un filet de poulet de même poids. Et nous n’en sommes pas encore vraiment conscients. Il semble inconcevable que ce gouvernement alourdisse bientôt nos impôts en instaurant une taxe sur la viande, mais quel autre pays européen pourrait être le premier à le faire ?
* Outre « feed » (aliments pour animaux), la carte mentionne aussi « fuel ». Cette distinction ne se retrouve pas dans les chiffres d’OWID. L’UE indique que 3% des céréales cultivées sur son territoire finissent en biocarburants.