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Politique Monétaire
19.04.2024
Sylviane Delcuve Senior Economist

Le yen sacrifié

Les autorités monétaires japonaises ont beau intervenir constamment sur les marchés pour tenter de sauver le yen (en vendant des USD), rien n’y fait : la devise perd du terrain. On ne peut donc pas imprimer de l’argent indéfiniment ! Fameuse leçon pour le reste du monde.

yen usd


Le yen n’en finit plus de plonger par rapport au dollar : il a perdu plus de 30% de sa valeur en à peine 3 ans et s’est effondré de 50% depuis 2012. À l’époque, le Premier Ministre nouvellement élu, Shinzo Abe, avait mis en œuvre ses politiques économiques (« Abenomics ») de prodigalité budgétaire financées par l'impression monétaire. En 2016 ces énormes quantités d'impression monétaire avaient ensuite été renforcées par l'institution du contrôle de la courbe des taux – ce qui, concrètement, revenait à maintenir le rendement des obligations à 10 ans à 0% en achetant tout ce qui était émis pour garantir que le taux reste nul. Dans un monde « normal », si l’offre de papier public excède la demande, le prix de ces obligations baisse, provoquant la hausse des taux. Si un pays décide qu’une telle hausse est impossible, il lui suffit de faire en sorte que l’offre rencontre toujours la demande.

L’injection massive d’argent a un coût

Au cours des douze dernières années, la Banque du Japon (BoJ) a donné une énorme leçon aux banques centrales mondiales, en prétendant qu’il était possible de s’en tirer avec des quantités infinies d'impression monétaire en achetant essentiellement plus de la moitié de la dette nationale avec des yens fraîchement créés, ainsi qu'un tas d'autres titres. « Sans problème ! » Aujourd'hui, cette leçon a du plomb dans l’aile, car le yen s'effondre. Il y aurait donc un prix à payer, malgré tout : la destruction de la monnaie.

Ce qui est surprenant, c'est que ce genre de politiques monétaires folles peuvent être appliquées un long moment avant que l’impact négatif ne s’en fasse ressentir. Mais lorsque le ressort casse, les conséquences sont lourdes. L’effondrement du yen en témoigne. La théorie du « repas gratuit » qui avait conduit à tout cela s'avère fausse. Il suffit de comparer l’évolution des bilans des banques centrales américaine, européenne et japonaise pour comprendre le problème.

Technique des petits pas peu convaincante

La BoJ a commencé à réagir par petits pas. Mais trop tard pour enrayer la destruction du yen – elle le détruit toujours, en provoquant sa perte de valeur sur les marchés des changes, mais à pas plus modérés.

Le processus a commencé en décembre 2022. Alors, d'autres banques centrales ont relevé leurs taux directeurs par tranches importantes et se sont tournées vers le resserrement quantitatif pour lutter contre l’inflation induite par la flambée du coût de l’énergie et le rebond d’activité économique post Covid. C'est à ce moment-là que la BoJ a « choqué » les marchés en relevant le plafond de la fourchette de rendement des JGB à 10 ans à 0,5%. En 2023, ce plafond a été porté à 1%. Et en octobre 2023, le plafond a purement et simplement été abandonné.

 Depuis lors, la BoJ a aussi…

  • Maintenu l'assouplissement quantitatif et déclaré qu'elle « poursuivrait ses achats obligataires avec à peu près le même montant qu'auparavant », soit environ 6.000 milliards de yens par mois (40 milliards de dollars), sur la base des conditions du marché.
  • Abandonné sa politique de taux d'intérêt négatifs mais n'a augmenté le taux d'intérêt à court terme que de de 10 points de base, de -0,1% à 0,0%, sa première hausse de taux depuis 2007.
  • Annoncé en avoir fini avec le contrôle de la courbe des taux, mais ne l’a pas supprimé complètement.
  • Ralenti mais n'a pas arrêté les achats de papier public et d'obligations d'entreprises.

La banque centrale n'a donc fait que quelques micro-pas pour s'éloigner de ses politiques monétaires folles. Aujourd’hui, ses vieux démons viennent la hanter. Elle tente de changer de cap, mais à un rythme plus (trop ?) lent.

La seule conclusion, à ce stade, est donc que le pays du Soleil Levant n’arrive pas à enrayer la destruction de sa monnaie.

 

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Sylviane Delcuve Senior Economist
Master en Economie de l’ULB Economiste de la salle des marchés de la première banque du pays pendant 10 ans Responsable crédit pour les produits structurés. Nombreuses expériences dans l’enseignement : ULB, Solvay, ULG, HEC St Louis En savoir plus

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