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Politique
29.02.2024
Koen De Leus Chief Economist

La politique et la démocratie Indienne … selon Modi (#2/10)

Dans notre premier article, nous avons souligné l'énorme potentiel et la diversité de l'Inde, et pourquoi l'Inde ne deviendra PAS la nouvelle Chine. Dans une démocratie, tout change à un rythme plus lent. Cette fois, nous parlons de "la politique et la démocratie indienne ... selon Modi". La bataille pour les électeurs en 2024 est, comme toujours, un mélange de religion, de caste et de ‘freebies’. Un combat pour "l'espace mental", comme l'appelle l'analyste politique Amitabh Dubey de GlobalData TS Lombard. Pour les marchés financiers, la stabilité (= pas de changement) serait le meilleur résultat.

Le parti nationaliste hindou BJP de Modi

Le régime politique en Inde, avec sa structure fédérale et ses 28 États et 8 territoires unifiés, est complexe. Il s’agit d’une Union d’États, ce qui implique que les États ne se sont pas réunis pour désigner une administration centrale, mais que le centre a créé les États. Il y a une répartition claire des pouvoirs entre l’autorité centrale et l’administration de l’État. L’autorité centrale assume la responsabilité de la défense, des affaires étrangères, des chemins de fer, du secteur bancaire et de quelques autres secteurs. Les pouvoirs des États comprennent, entre autres, la police, les soins de santé, l’agriculture et les autorités locales.

La National Democratic Alliance (NDA) dirige aujourd’hui l’administration centrale, avec comme parti principal le Bharatiya Janata Party (BJP) du Premier ministre Narendra Modi. Le BJP est un parti nationaliste hindou, tandis que le principal parti d’opposition Congrès national indien, en abrégé Congrès, est considéré comme un parti politique séculaire. Le BJP a commencé à gagner en popularité après 1992. Les hindous revendiquaient le lieu où se trouvait la mosquée Babri Msajid à Ayodhya. De graves émeutes entre les musulmans et les hindous ont fait 17 morts dans la ville et plus de 2.000 ailleurs en Inde. En janvier 2024, Modi a ouvert le temple Ram Mandir au même endroit pour les hindous, une promesse que le parti BJP avait faite en 1992. La religion joue un rôle important dans la politique. Près de 80% de la population indienne est hindoue. Un peu moins de 15% sont musulmans.

hindu moslims

Thomas Easton, Mumbai Bureau Chief pour The Economist en Inde et auteur de la newsletter « India Business and Finance », explique : « Le responsable du tourisme du service administratif indien m’a dit qu’aujourd’hui, il n'y a que 2 hôtels à Ayodhya (en plus de toutes les maisons d’hôtes non officielles). Dans un avenir très proche, il y en aura 115 et d’autres sont encore en construction ». Il conclut : « En plus de tout ça (et « ça » englobe beaucoup de choses), cela montre que si l’Inde veut que les choses soient faites, elle y parvient. »

Le système de castes est interdit, mais omniprésent

Outre la religion, le système de castes ajoute une complexité supplémentaire à la politique et à la société indiennes. Les communautés et les groupes de naissance se réunissent en jatis. Ces jatis comprennent généralement des groupes d’une classe sociale, mais parfois aussi de classes sociales différentes, ou varnas. Il existait 4 varnas : (1) les brahmanes, la classe sacerdotale et savante ; (2) les kshatriyas, les combattants et les dirigeants, ainsi que les grands propriétaires fonciers ; (3) les vaishyas, les agriculteurs et les commerçants ; et (4) les shudras, les citoyens et les ouvriers. Cinquièmement, il y avait les dalits ou intouchables, un groupe exclu qui devait faire le travail le plus dur et le plus sale.

La discrimination fondée sur les castes est officiellement interdite, mais elle est toujours présente dans de nombreux endroits. La caste définit votre statut, votre emploi et souvent aussi vos opportunités d’évolution. La désignation d’un membre d’une caste inférieure comme chef d’équipe d’une personne d’une caste supérieure peut poser des problèmes. Jusqu’à aujourd’hui, les filles dalits reçoivent encore des cours séparés.

cast system

Implicitement, les castes restent également intégrées dans la loi indienne. Afin de combler l’inégalité entre les différentes castes, chaque école ou université doit obligatoirement réserver 40% des places aux élèves et étudiants des classes inférieures. Il en va de même pour les emplois publics, mais ceux-ci diminuent en raison de la privatisation progressive. « Des progrès ont été réalisés ces dernières années » déclare l’activiste des droits humains Manjula Pradeep dans un entretien avec le journal belge De Standaard. Manjula Pradeep a été invitée à s’exprimer auprès des Nations Unies et du Parlement européen sur le travail forcé, la violence sexuelle à l’encontre des femmes et la discrimination des dalits. « Les jeunes générations défendent davantage leurs droits. C’est parce que les femmes sont maintenant plus émancipées. »

Une bataille pour le « mind space »

Ce sont les femmes des castes les plus basses qui ont le plus dur à endurer. « Mais la culture n’a pas changé. Par exemple, il y a deux semaines, alors que j’attendais le train, un étranger a entamé une conversation avec moi. La première chose qu’il m’a demandée était : quelle est votre caste ? [...] Tôt ou tard, la question est posée. La meilleure preuve est qu’aujourd’hui encore, il y a peu de mariages mixtes entre les castes. »

« La croissance économique a cependant permis à beaucoup d’entre eux de prospérer dans les castes inférieures », explique Amitabh Dubey, analyste politique chez GlobalData TS Lombard. « Les partis politiques se forment autour de cette caste et, dans certains États, une caste composée d’un grand nombre de personnes et d’influence politique peut remporter des élections et ainsi attirer des moyens financiers. » Les castes inférieures, avec la plupart de leurs partisans, acquièrent ainsi un pouvoir politique et de l’argent pour une meilleure éducation, pour un meilleur logement, ce que les castes supérieures ont depuis longtemps. « Les hautes castes s’unissent sur la base de la religion, l’hindouisme. Certains membres de ces castes inférieures disent alors : « Je suis aussi hindou, et je ne veux pas être lié avec les musulmans au niveau politique, alors je me joins aux hautes castes. » Et cela devient une bataille pour le « mind space » des électeurs. » Les campagnes électorales sont donc menées par certains partis en fonction de la performance économique ; d’autres se basent sur un arc nationaliste, y compris religieux.

Démocratie indienne

L’Inde reste la plus grande démocratie au monde, mais dans l’indice de démocratie de l’Economist Intelligence Unit (EIU), le score est passé de 7,92 à 7,04 depuis 2014. Il s’agit de la 46e place sur 167, au même niveau que la Pologne et entre l’Afrique du Sud (45) et le Suriname (48). L’EIU parle d’une « démocratie défaillante ». « Les instituts indiens sont très développés et ancrés », écrit l’institut. Cependant, « un affaiblissement de la culture politique par des systèmes de financement politiques occultes en faveur du parti dominant, la tendance croissante à susciter des tensions entre différentes communautés et la jurisprudence qui oriente les décisions en faveur du parti dirigeant » pèsent sur le score de la culture politique. « La liberté de la presse est protégée par la loi en Inde. Pourtant, l’indice de liberté de la presse de Reporters Without Borders a fait passer l’Inde de la 150e place en 2022 à la 161e place en 2023, sur 180 pays. »

Le BJP dispose de 290 sièges sur les 323 sièges à obtenir au total (543) dans la puissante chambre basse (l’administration similaire à celle de la Grande-Bretagne, dont l’Inde était une colonie jusqu’en 1947). En outre, le BJP détient également une majorité dans 17 États indiens. La NDA est considérée comme plus favorable à l’égard des entreprises et des opinions conservatrices que l’Indian National Development Inclusive Alliance (I.N.D.I.A) de 29 partis dirigée par le Congrès national indien. « Mais la politique économique menée par les deux va dans la même direction », déclare Shumita Deveshwar, Chief Economist pour l’Inde chez GlobalData TS Lombard. Les deux partis ont des points de vue socialistes, mais le BJP se concentre davantage sur un discours nationaliste centré sur l’Inde, tandis que le Congrès prône une image plus large et plus inclusive de la nation indienne. « Aujourd’hui, lors des élections nationales, le BJP tente de tirer parti de la grande popularité de Modi sur le plan fédéral et de faire une élection « Modi-Congress » plutôt qu’une élection BJP contre le Congrès », explique Amitahb Dubey.

Le pouvoir de Modi est tel que les États dirigés par le BJP sont plus en phase avec l’administration centrale. Ils obtiennent des voix grâce à Modi, ce qui les encourent à l’écouter davantage. Mais de nombreux États sont également régis par d’autres coalitions. « Par conséquent, il y a souvent des négociations entre les États et l’administration centrale sur ce qu’ils introduiront ou non, selon que cela soit dans l’intérêt de l’État ou non. » En 2018, l’administration centrale a ainsi mis en place une assurance santé nationale pour laquelle les 50% d’Indiens les plus pauvres étaient éligibles : l’Ayushman Bharat Prime Minister’s People’s Health Scheme. Certains États ont refusé de participer, car ils avaient déjà lancé leurs propres programmes de santé. D’autres ont participé, mais y ont ajouté une couche supplémentaire, et donc leur propre « branding ».

Sur les épaules de géants

« Modi est-il un bon leader ? Il a du flair et il est charmant », explique Deveshwar. « Il y a des gens qui diront : si vous aimez l’Inde, vous devez aimer Modi. » La plupart des gens considèrent Modi comme un dirigeant compétent. Mais certains préfèrent davantage le voir revenir en tant que leader que d’autres. « Si je devais être CEO, je voudrais des gens comme Modi », explique le Dr Bhagwati. « Vous lui dites : « OK, faites en sorte que cela soit fait. Vous avez 6 mois. » Et il le fera. Mais il a trop de raison et trop peu de cœur. » Modi a mené de nombreuses réformes depuis son entrée en fonction. « Mais lorsque Newton a été salué par ses collègues scientifiques à Cambridge qui lui ont dit : « Vous avez été si avant-gardiste dans vos idées. » Il a répondu : « Si j’ai pu voir plus loin, c’est que je me tenais sur les épaules de géants. » Autrement dit, Modi a pu s’appuyer sur les épaules d’anciens géants. »

Le principal avantage de la grande popularité de Modi est qu’il apporte une stabilité politique. « C’est la première fois depuis très longtemps que nous avons un gouvernement et une politique stables depuis près de 10 ans », déclare Muhammad[1], un contact Indien qui préfère rester anonyme. De 1952 à 1976, le Congrès national indien régnait à la majorité absolue. Depuis 2014, le BJP gouverne au niveau fédéral, et dans une majorité des États, avec une majorité absolue. « Et je pense qu’il y a de fortes chances que le BJP reste majoritaire au pouvoir durant les cinq prochaines années. Ce qui me rappelle les années 30 aux États-Unis, quand Franklin D. Roosevelt[2] a été élu président 3 fois de suite. »

La stabilité est favorable pour les marchés financiers

Par le passé, c’était souvent différent, me dit-il. « En 1996, le BJP, le parti gagnant avec 161 sièges sur 543 à la chambre basse, a formé une coalition pour atteindre la majorité. La lutte pour savoir qui avait reçu quel portefeuille a déjà mené à la chute après à peine 13 jours. » Ensuite, plusieurs petits partis ont formé une coalition, avec le soutien du Congrès. Elle a chuté 18 mois plus tard.

En 1998, le BJP a gagné avec 182 sièges sur 543. La National Democratic Alliance a été formée avec quelques partis régionaux, mais le gouvernement est à nouveau tombé après seulement 13 mois. « Cette succession rapide d’élections a fait un trou dans le budget : les élections avec ses freebies sont onéreuses en Inde. Il a fallu des années pour y remédier. » La présentation des performances économiques est importante lors des élections. Mais la clé est entre les mains de la population rurale, qui ressent généralement moins cette croissance. Dans la lutte pour leur voix, les freebies sont largement utilisés, allant d’espèces, d’une assurance santé, d’une couverture et de nourriture à des télévisions couleur, des ordinateurs portables, des vélos et de l’or : donc des avantages immédiats et tangibles en échange d’une voix.

Les marchés financiers seraient certainement satisfaits de 5 années supplémentaires de coalition Modi. Dans le cas d’une coalition non-Modi, cela dépend de la coalition formée. « S’il y a une alliance des partis d’opposition, l’impact sur les marchés financiers sera certainement négatif », déclare Amitahb Dubey. « La dernière fois qu’une coalition BJP a été remplacée par l’alliance de l’opposition – en 2004 – le marché a baissé de 20% en quatre jours, bien qu’il se soit rétabli après. »

 



[1] Muhammad est un nom fictif.

[2] Roosevelt est considéré comme l’un des présidents les plus influents et les plus impactants de tous les temps. Il a redéfini le rôle du gouvernement aux États-Unis et son soutien aux programmes sociaux du gouvernement a été crucial pour redéfinir le libéralisme pour les futures générations. Son programme New Deal s’est concentré sur les « 3 R » : « relief » (aide sociale) pour les chômeurs et les pauvres, « recovery » (reprise) de l’économie et « reform » (réforme) du système financier pour éviter une récidive de la dépression

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population. En savoir plus

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