L’époque de l’hyperglobalisation est révolue. De 2000 à 2008, le commerce mondial a augmenté de près de 6% par an. Depuis la Grande Crise Financière, cette croissance a diminué de moitié. Pendant son premier mandat, Trump a augmenté les droits de douane sur de nombreux produits chinois. La part de la Chine dans les importations américaines a fortement baissé. Mais depuis lors, les produits chinois ont été introduits aux États-Unis de manière détournée. Depuis 2019, les entreprises chinoises ont investi massivement dans des usines, notamment au Vietnam. Celles-ci ont assemblé les produits intermédiaires chinois importés et ont ensuite exporté des produits finis vers les États-Unis.
Une nouvelle étape
Outre le contournement des taxes à l’importation, il s’agit d’une nouvelle étape logique dans l’histoire de la croissance chinoise. L’externalisation vers la Chine en raison de sa main-d’œuvre bon marché a atteint ses limites. Elle représente aujourd’hui 35% de la production industrielle mondiale, ce qui la rend plus importante que les 9 grandes puissances productrices suivantes réunies. Parallèlement à l’augmentation des connaissances technologiques et de la productivité au cours des dernières décennies, les salaires ont augmenté. Aujourd’hui, la Chine sous-traite à son tour le travail peu qualifié à des pays émergents à faible coût de main-d’œuvre, tout comme les pays occidentaux le faisaient auparavant à la Chine.
C’est une bonne chose pour ces pays émergents. Ils peuvent ainsi suivre le chemin de développement de leur illustre prédécesseur : la croissance via l’exportation. Les pays qui participent à la chaîne de valeur mondiale complexe se développent plus rapidement, importent des compétences et des technologies et créent des emplois. « Le plus grand bond en avant se produit lorsque les pays passent de l’exportation de matières premières à l’exportation de biens industriels simples (vêtements) sur la base d’intrants importés (tels que les textiles) », affirme la Banque mondiale. C’est la voie que suivent entre autres la Thaïlande, le Cambodge et le Vietnam. Le Vietnam a doublé sa part d’importations vers les États-Unis pour atteindre près de 9% depuis 2018.
La réciprocité
Trump menace aujourd’hui d’augmenter les taxes à l’importation en provenance de tous les pays. Le détournement des exportations chinoises n’a alors plus beaucoup de sens. La réciprocité, le nouveau mot-clé de l’administration américaine, implique également que les pays émergents, avec des tarifs douaniers plus élevés pour protéger et développer l’industrie et l’emploi intérieurs, seront proportionnellement plus touchés que les autres pays. Avec un solide excédent commercial par rapport aux États-Unis et une grande importance de ce commerce dans leur propre économie, les pays émergents susmentionnés sont très vulnérables à cette situation. La globalisation risque ainsi de laisser place à la déglobalisation. Les pays en développement ne pourront alors plus se développer sur la voie traditionnelle d’un commerce plus mondial.
Là où une porte se ferme, d’autres s’ouvrent. Là où la globalisation s’arrête, la régionalisation offre une solution alternative. Au cours des 4 dernières décennies, le commerce intrarégional en Asie a augmenté de 43%. Trump oblige encore plus ces pays à emprunter cette voie qu’auparavant. Aujourd’hui, plus de la moitié du commerce asiatique est régional, et cela ne fera que croître.
La réponse Européenne
Cela doit également faire partie de la réponse européenne à une future augmentation des droits de douane américains. 20% du commerce en provenance de pays non-membres de l’UE se dirigent vers les États-Unis. Mais 62% des échanges ont lieu entre les États membres. Malgré ce pourcentage élevé, le potentiel de croissance est important à ce niveau. Aujourd’hui, les barrières entre les États membres de l’UE sont énormes, avec 53% pour les biens et 110% pour les services. Selon le FMI, une réduction de ces barrières à 13% – le niveau en vigueur aux États-Unis pour les marchandises – augmenterait considérablement à la fois le commerce intra-européen et la productivité qui en découle. Une meilleure infrastructure frontalière (dans le cas du commerce de marchandises), moins de restrictions dans les marchés publics et une meilleure harmonisation des règles sont 3 pistes à suivre.
Augmentation du commerce de services numériques
Une deuxième branche importante de ce modèle de multiglobalisation est une augmentation relative du commerce de services numériques pour compenser le ralentissement du commerce de marchandises. La part des « autres services commerciaux » – tous services autres que transport et voyages – a doublé au cours des 3 dernières décennies. Ce sont surtout les services dits « intermédiaires », des services fournis entre 2 ou plusieurs parties comme la comptabilité financière, les services IT, la consultance, etc., qui peuvent stimuler la globalisation, explique Richard Baldwin, professeur d’économie internationale à l’IMD Business School de Lausanne, en Suisse.
La digitalisation poussée – téléprésence, machines linguistiques universelles – facilite l’offre de services numériques. Il est pratiquement impossible de prélever des droits de douane sur les services intermédiaires. La demande de ces services est forte dans les pays développés, car des services intermédiaires sont nécessaires tant dans la production de biens que dans la prestation de services. Là aussi, des tâches administratives et d’autres services doivent être fournis. Parallèlement, dans les pays émergents, il existe un grand nombre de personnes qualifiées – complétées ou non par l’IA de nouvelle génération – capables de fournir ces services – de manière numérique – à une fraction du prix dans les pays développés.
Allié peu fiable
Proclamer la mort de la globalisation est dès lors prématuré. Avec les États-Unis comme allié peu fiable, les pays opteront davantage pour des partenaires commerciaux régionaux. L’avantage supplémentaire est que cela rend la chaîne d’approvisionnement moins complexe et moins risquée. Le ralentissement du commerce de marchandises soumis à des droits de douane plus élevés sera également compensé par l’augmentation de l’externalisation des services numériques intermédiaires. La globalisation se transforme en une multiglobalisation et aide de nombreux pays et régions à se débarrasser du joug de la dépendance américaine. Il est peu probable que les États-Unis sortent à terme vainqueurs de cette évolution.