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Macroéconomie
29.09.2020
Koen De Leus Chief Economist

La guerre et les pandémies, deux défis économiques très différents

D’un point de vue économique, le cri de ralliement du président Macron contre le coronavirus début mars, « nous sommes en guerre ! », est un peu trompeur. Les conséquences à long terme d’une pandémie sur des paramètres tels que les taux d’intérêt et les salaires sont assez différentes de celles d’une guerre. Le message aux gouvernements est clair : empruntez en masse pour sortir de la crise le plus vite possible. Cependant, l’avenir des investisseurs semble plus difficile.

Comment nous remettre au mieux du coronavirus ? Les décideurs politiques peuvent être enclins à examiner les catastrophes naturelles et les guerres récentes pour en tirer des leçons. Mauvaise idée, avertissent Oscar Jorda, Alan Taylor et Sanjay Singh, trois professeurs de l’université de Californie[i]. Ils ont épluché les archives pour examiner les conséquences à long terme des pandémies. Depuis le 14e siècle, il y a eu 19 occurrences où au moins 100 000 personnes sont mortes et deux super-pandémies : la peste noire et la grippe espagnole, qui ont fait quelques 10 à 100 millions de morts. Le Covid-19, la pandémie numéro 20, deviendra-t-elle aussi une super-pandémie ? Seul le temps nous le dira. Actuellement, le nombre de décès s'élève à près de 900 000.

 

L’impact économique moyen est impressionnant. Il apparaît que l’effet d’une pandémie ne s’estompe que 40 ans après sa fin. Tout d’abord, les taux d’intérêt réels naturels baissent. Il s’agit des intérêts sur les actifs sûrs qui garantissent que l’offre d’épargne soit en équilibre avec la demande d’investissement. Une pandémie pousse les taux d’intérêt à la baisse pendant des années par la suite. Ils touchent le fond environ 20 ans plus tard, le taux naturel étant inférieur d’environ 150 points de base par rapport à une période où il n’y a pas de pandémie, avant de se normaliser peu à peu. Au cours de ces quatre décennies, les salaires réels augmentent de 15 % de plus que sans pandémie. La croissance réelle cumule 10 points de pourcentage de plus.

 

L’impact économique des guerres est tout différent. Dans les décennies qui suivent, les taux d’intérêt augmentent jusqu’à 1 point de pourcentage. Les salaires et la croissance n’augmentent ni ne diminuent de manière anormale. La principale différence réside dans la destruction du capital due aux dégâts subis, ce qui exerce une pression sur la productivité future et la reprise économique. Cette destruction du capital ne se produit pas lors des pandémies, où la productivité augmente par la suite.

 

Viabilité des dettes

Bien que les conséquences à court terme des pandémies puissent être similaires à celles d’autres catastrophes économiques (un ralentissement majeur de l’activité économique), les conséquences à moyen et long terme sont tout à fait différentes. Et c’est capital pour déterminer le meilleur remède à administrer. Le spécialiste des pandémies prescrira une politique incitative avec plus de dépenses et moins d’impôts. La dette publique augmentera, mais sa viabilité aussi, en raison d’une baisse des taux d’intérêt naturels et d’une croissance relativement plus forte. En guerre, c’est exactement le phénomène opposé.

 

La hausse des salaires réels est également positive pour la société actuelle. La diminution de la main-d’œuvre donne plus de pouvoir de négociation aux employés. Les énormes inégalités de revenus qui se sont accumulées dans de nombreux pays ces dernières années peuvent être réduites grâce à ça. La question est de savoir si la pandémie actuelle obéira à cette évolution. Après tout, la grande majorité des victimes du Covid-19 sont des personnes qui ont cessé leur vie active depuis longtemps.

 

Enfin, les nouvelles sont moins positives pour les investisseurs. La baisse structurelle des taux d’intérêt réels naturels suggère des opportunités d’investissement moins rentables dans les 40 prochaines années. La hausse du taux d’épargne pousse le rendement à la baisse, l’épargne des ménages ayant presque doublé dans de nombreux pays depuis le début de la pandémie. Et l’augmentation des salaires exerce aussi une pression sur les marges des entreprises.

 

Comme l’a dit Macron, il est absolument nécessaire d’entrer en guerre contre le Covid-19. Mais si nous voulons aider l’économie à se redresser le plus vite possible par la suite, il faut garder à l’esprit que les pandémies obéissent à des dynamiques spécifiques. Et des solutions d’après-guerre ne peuvent s’ap



[i] Oscar Jorda, Sanjay R.Singh, Alan M.Taylor, Longer-Run Economic Consequences of Pandemics, NBER Working Paper, 26934, avril 2020


Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population. En savoir plus

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