INUTILE
Près de 25% des dettes souveraines européennes sont ‘parquées’ au bilan de la BCE. La BCE a acquis ces obligations d’État européennes pour ainsi faire pression sur les taux d’intérêt. Si nous devons rembourser ces sommes, il faut aller les emprunter ou alors augmenter les impôts, argumentent 150 économistes européens. Et cet argent, nous ne pourrons pas l’affecter à des investissements. Pourquoi ne pas effacer l’ardoise et dégager ainsi une marge de manœuvre ? Et puisque la BCE fait elle-même partie des instances publiques et que c’est à elle que ces mêmes instances publiques doivent rembourser, il ne peut y avoir d’effets négatifs. Si… ?
Que si ! Cette proposition se heurte à d’importantes objections. Tout d’abord, la mesure est inutile. Les dettes publiques acquises se trouvent littéralement ‘parquées’ au bilan de la BCE. Il n’y a pas d’urgence à remettre ces titres sur le marché. Les garder là, en les reconduisant à leur échéance, et ne pas en demander le remboursement – et certainement pas les gommer non plus – a même des avantages. Si l’inflation part à la hausse dans un lointain avenir, elles pourront être remises sur le marché. L’argent est soustrait de l’économie. Les taux augmentent et l’économie et l’inflation se calment.
La capacité à rembourser la dette ne pose pas de problème non plus. Malgré un endettement plus élevé, la charge des intérêts n’a jamais été aussi légère. En 2020, l’État belge a payé 1,7 % du PIB en intérêts contre 11 % en 1990. En 2022, ce devrait être 1,3 % du fait des taux extrêmement bas. Jusqu’à une durée de 10 ans, les taux souverains sont négatifs. Une offre d’épargne qui dépasse la demande en investissements a continuellement fait baisser ces taux la dernière décennie. En acquérant des obligations, la BCE maintient les taux sous contrôle. La banque centrale tend la main aux responsables politiques pour qu’ils investissent davantage. Avec leur appel – effacer les dettes -les signataires du ‘tract’ prennent le bras entier.
DANGEREUX
Cet appel n’est pas seulement inutile. Il est carrément dangereux. Une monétisation des dettes accroît la peur de l’inflation. La prime pour risque d’inflation augmente, et du coup les taux d’intérêt aussi. On peut promettre qu’effacer 2500 milliards d’euros de dettes ne se fera qu’une seule et unique fois. Mais qui croit encore ces gens-là ? Pourquoi, lors d’une prochaine crise et d’une nouvelle acquisition d’obligations, la BCE ne passerait-elle pas immédiatement à la monétisation ?
C’est problématique, surtout pour les investisseurs étrangers en titres souverains européens. La monétisation enclenche un cercle vicieux où les prévisions de hausse de l’inflation se traduisent en une inflation réellement plus élevée, ce qui donne lieu à de nouvelles prévisions d’inflation à la hausse. Les taux d’intérêt augmentent, l’euro diminue : double perte pour ces investisseurs externes qui vont fuir ces obligations européennes. Ce désintérêt pour elles pousse encore les taux à la hausse. Et soudain, cette faculté de remboursement de ses dettes devient bien un problème.
Pour terminer, la mise à exécution de cette proposition signifie ingérence dans la politique monétaire. Cela met l’indépendance de la BCE en péril. C’est en partie grâce à cette indépendance acquise dans les années ’80 et ’90 que les banques centrales ont mis l’inflation à genoux. Voilà un premier pas vers la théorie monétaire moderne qui considère que l’argent est gratuit. Mais rien n’est gratuit et il faut rembourser tôt ou tard. Si pas en monnaie sonnante et trébuchante, en érosion du pouvoir d’achat. Espérons que cet appel restera lettre morte. Mais je crains que le lancement de cette idée de monétisation ait déjà ouvert la boîte de Pandore.