Les ballons d'essai politiques en faveur de nouvelles dépenses publiques contrastent fortement avec l'état précaire de nos finances publiques qui appelle, au contraire, à des efforts en matière budgétaire ainsi que des réformes.
Ces derniers mois, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer davantage de moyens. L'enseignement, les soins de santé, la police, la justice, la défense, le secteur culturel, le secteur non marchand, la SNCB et De Lijn, tous réclament d’urgence des moyens supplémentaires.
Dans le même temps, les politiques ne cessent de faire miroiter de nouvelles dépenses publiques: plusieurs partis souhaitent une réduction permanente de la TVA sur l'électricité, le PS a présenté un plan en faveur du pouvoir d'achat de 6,5 milliards, Ecolo veut 30.000 euros de capital de départ pour chaque jeune de 25 ans... On en viendrait presque à penser que notre gouvernement dispose d'énormes excédents budgétaires dont il doit se débarrasser de toute urgence. Le contraste avec la réalité de nos finances publiques ne saurait être plus criant.
Des finances publiques insoutenables
Juste après l'introduction de l'euro, la Belgique a réalisé un excédent primaire (sans tenir compte des charges d'intérêt) de 6,8% du PIB. Aujourd'hui, nous accusons un déficit primaire de 3%. Un revirement de près de 10% du PIB, soit quelque 54 milliards en euros actuels, au cours des vingt dernières années. Et pourtant, le sentiment d'urgence à propos de nos finances publiques demeure inexistant.
L'état précaire de nos finances publiques n'est pas seulement dû à la crise du covid et à la guerre en Ukraine. L'audit budgétaire est récemment passé sans encombre. Pour autant, notre situation budgétaire se révèle progressivement dramatique. Selon le Bureau du Plan, nous enregistrerons cette année un déficit budgétaire de 4,7% du PIB, soit 26 milliards d'euros, et une dette publique de 104% du PIB, soit plus de 570 milliards d'euros. Et les perspectives sont encore plus inquiétantes.
Le Bureau du Plan, la Banque nationale, l'OCDE, le FMI et la Commission européenne prévoient tous que le déficit budgétaire continuera de se maintenir autour de 5% du PIB dans les années à venir. L'état précaire de nos finances publiques n'est donc pas seulement dû à la crise du covid et à la guerre en Ukraine. Même lorsque les mesures de crise temporaires prennent fin, le déficit budgétaire reste insoutenable.
Factures supplémentaires
Entre-temps, le vieillissement de la population est en train de s'accélérer. Entre aujourd'hui et 2030, le vieillissement ajoutera 1,3 milliard par an aux dépenses publiques (en euros d'aujourd'hui). En conséquence, les dépenses annuelles en matière de pensions et de soins seront supérieures de plus de 10 milliards en 2030 à ce qu'elles sont aujourd'hui. Et c'est un scénario optimiste. Soit dit en passant, les décisions de ce gouvernement ont jusqu'à présent fait grimper la future facture du vieillissement, au lieu de la faire baisser.
Qui plus est, les taux d'intérêt augmentent à nouveau. Cela entraîne un risque sérieux que la charge d'intérêt sur la dette publique augmente à nouveau après 30 ans de recul. Selon la Banque nationale, elle devrait doubler pour atteindre 3% du PIB en 2030. Cela correspond à une charge d'intérêt annuelle supplémentaire de 8 milliards d'euros actuels.
Et il y a d'autres projets de loi qui attendent aussi. Le plan visant à porter l'investissement public à 4% du PIB d'ici à 2030 implique des dépenses annuelles supplémentaires de 6 milliards en euros actuels. Pour porter le budget de la défense aux 2% du PIB promis, il faudra environ 5 milliards supplémentaires sur une base annuelle. Quant à la transition durable et énergétique, elle nécessitera également des investissements massifs.
Pas de marge
Dans le contexte de déficit budgétaire important et de la facture supplémentaire du vieillissement, la dette publique augmentera pour atteindre 130% du PIB en 2030 à politiques inchangées. Dans l'un des scénarios noirs de la Commission européenne, ce pourcentage atteindrait même 140%. Cela porterait notre dette au-dessus du niveau record historique de 1993.
Cela rendrait notre pays financièrement plus vulnérable à de nouveaux revers. Cela devrait clairement faire comprendre qu'il n'y a pas de place pour une nouvelle augmentation des dépenses dans les années à venir. Au contraire, des efforts importants seront nécessaires pour remettre nos finances publiques sur les rails. Selon la Commission européenne, un effort de 43 milliards d'euros est à accomplir pour stabiliser notre dette publique à long terme.
Besoin de politiques sérieuses
L'atmosphère de crise actuelle ne doit pas empêcher nos responsables politiques de continuer à surveiller la santé structurelle de nos finances publiques. Cela n'a pas été fait suffisamment, et nous devons maintenant travailler de toute urgence pour remettre ces finances publiques sur les bons rails. Cela nécessitera de faire des choix sociaux. Voici quelques suggestions:
• Définir une trajectoire pluriannuelle crédible de redressement des finances publiques (et s'y tenir).
• On a besoin de davantage de personnes au travail. Pour ce faire, il faut prendre des mesures concrètes pour atteindre le taux d'emploi de 80% (l'accord actuel sur le travail est loin d'être suffisant pour y parvenir).
• Réaliser des réformes sérieuses dans le domaine des pensions et des soins de santé afin de contrôler la croissance future des dépenses due au vieillissement de la population.
• Procéder à des réformes structurelles visant à renforcer le potentiel de croissance de notre économie, telle que des mesures destinées à accroître la concurrence dans certains secteurs, à assurer un meilleur fonctionnement du marché du travail ou à rendre la fiscalité plus propice à la croissance.
• évaluer l'efficacité des décisions politiques antérieures, tant en termes de dépenses que de recettes, et procéder à des ajustements lorsque les objectifs ne sont pas atteints.
Compte tenu des efforts budgétaires considérables qui nous attendent, le débat politique actuel est franchement irresponsable. Le contexte budgétaire pour le(s) prochain(s) gouvernement(s) est déjà clairement établi: il n'y aura pas de place pour de nouvelles augmentations de dépenses structurelles ou des réductions d'impôts.
Au contraire, de sérieux efforts budgétaires et des réformes seront nécessaires. Si nous n'y parvenons pas nous-mêmes, nous serons contraints de le faire en temps voulu, dans des conditions de crise beaucoup plus difficiles.
(Ce tribune a été publié dans L'Echo le 14 juillet 2022)
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus
Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population.
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