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Macroéconomie
29.11.2019
Arne Maes Senior Economist

Critique de livre ‘Factfullness’

Dans ‘Factfulness: Ten Reasons We're Wrong About the World – and Why Things Are Better Than You Think’, Hans Rosling démontre à quel point nous savons peu de ce qui se passe dans le monde. Si nous nous basions sur des faits, nous serions bien plus optimistes. Rosling nous montre ce qui rend la tâche aussi difficile, et comment nous pouvons nous améliorer sur ce point.

Hans Rosling a consacré sa vie à la lutte contre l’ignorance. À cet effet, il a développé un petit test rapide avec son fils Ola et sa belle-fille Anna. Le test, qui se compose de 13 questions à choix multiple, permet d’en apprendre davantage sur les connaissances du monde et leur évolution. Les résultats sont absolument alarmants. En moyenne, les près de 12 000 personnes qui ont rempli le test ne parvenaient pas à donner la bonne réponse à plus de deux questions. Même les experts enregistraient un résultat à peine meilleur que celui d’un chimpanzé qui aurait indiqué des réponses au hasard.

Ce test (une vraie révélation) est disponible en ligne*, tout comme cette vidéo qui a fait le tour du monde et dans laquelle Rosling parcourt 200 ans d’histoire universelle au moyen de boules rebondissantes qui représentent la longévité et la prospérité croissantes dans la quasi-totalité des pays du monde.** Le message est le même : le monde progresse, mais nous semblons l’ignorer. Dans ‘Factfulness’, Rosling essaie de comprendre pourquoi nous sommes aussi pessimistes.

Une division selon les revenus

Rosling s’enflamme contre l’idée dépassée selon laquelle le monde serait constitué de ‘l’Ouest riche’ d’une part, et des tous les pays restants de l’autre. Si l’on ne compare que les pays industrialisés et les pays en développement, on risque de perdre de vue la classe moyenne. C’est justement cette classe moyenne qui a progressé aussi rapidement ces dernières décennies. Et nous n’en sommes pas suffisamment conscients.

Rosling a développé un cadre permettant d’évaluer la qualité de vie dans plusieurs pays. À cette fin, il a réparti la population mondiale en différents niveaux en se basant sur le revenu journalier, tel qu’illustré plus bas. Au niveau le plus bas, qui réunit environ 1 milliards d’habitants d’Afrique et d’Asie, les gens doivent s’en sortir avec un dollar par jour en moyenne. Ils vivent dans une extrême pauvreté : ce sont généralement des familles nombreuses, qui vivent sans électricité et qui ont à peine de quoi se nourrir. Il leur faut une journée pour aller chercher de l’eau.

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Au deuxième niveau, les conditions sont légèrement meilleures : l’électricité est parfois disponible et la nourriture se vend de manière limitée, mais une simple grippe est toujours fatale en raison du manque de médicaments. La majeur partie de la population mondiale se situe à ce niveau : les enfants sont scolarisés et avec un peu de chance, ils pourront passer au prochain niveau… du moins s’ils ne tombent pas malades.

Le troisième niveau compte quelque 2 milliards de personnes, qui travaillent dur : les journées de travail de 16 heures ne sont pas une exception, même s’il est parfois possible de passer une journée à la plage avec la famille. Ces personnes ont l’eau courante (froide) et parviennent même souvent à mettre de l’argent de côté. Grâce à la stabilité de l’approvisionnement en énergie, les familles ont des réfrigérateurs et ne doivent (enfin) plus manger la même chose jour après jour. Certains disposent d’une motocyclette, ce qui leur permet de trouver un travail bien rémunéré dans une ville plus lointaine. Ceux et celles qui font partie de ce niveau ont de bonnes chances de passer au niveau quatre au cours de leur vie.

Les lecteurs de ce blog, enfin, se trouvent déjà au quatrième niveau. Et ce sont précisément ces personnes qui ont énormément de difficultés à se faire une idée de la vie que mènent les gens dans les autres niveaux. C’est pourquoi les Rosling*** ont développé un outil fascinant : Dollar Street. Cet outil permet de voir, au moyen de photos, à quoi ressemble un aspect spécifique de la vie (l’hygiène buccale, par exemple) dans des pays de chacun des quatre niveaux.

Cette répartition des pays en quatre catégories donne une image plus claire de leur situation actuelle et de l’évolution qu’ils ont suivie. Cette division permet par ailleurs de mieux comprendre des tas d’autres indicateurs tels que la mortalité infantile, l’alphabétisation et la longévité. Néanmoins, Rosling a mis plus de 17 ans à en convaincre la Banque mondiale. En 2016, l’organisation a enfin viré de bord et échangé les pays industrialisés et les pays en développement pour la division en quatre catégories de revenus.

Des ‘instincts dramatiques’

Les catégories de revenus révèlent aussi une évolution positive. D’ici 2040, le premier niveau ne comptera plus qu’un demi-milliard de personnes, soit à peine 4 % de la population mondiale, par rapport à quelque 13 % aujourd’hui. La grande majorité sera passée au troisième niveau.

Certes, tout ne sera pas rose. Mais cela ne peut nous empêcher de voir les évolutions positives dans de nombreux domaines comme l’accès aux soins de santé, l’égalité des genres et la sécurité. Les Rosling plaident pour une vision du monde basée sur des faits. D’où l’importance de reconnaître les pièges dans notre façon de penser****.

Ils identifient dix ‘instincts dramatiques’ qui font que nous nous concentrons sur ce qui ne va pas dans le monde. Nous accordons souvent une attention disproportionnée aux informations négatives, et les médias en profitent habilement. Les grands nombres nous trompent, surtout hors contexte. Nous indiquons volontiers des individus comme responsables de grands événements comme les guerres, et oublions facilement les tendances sous-jacentes.

La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons apprendre à maîtriser ces instincts. De manière très convaincante, ‘Factfullness’ fait valoir les mérites d'une vision du monde basée sur des faits, tout en montrant comment cette idée pourrait être mise en pratique. Alors, qu’attendez-vous ?


* Vous pouvez faire le test en cliquant sur le lien suivant ; cela ne prend que quelques minutes. Vous serez certainement surpris par le résultat.

** Rosling était un animateur-né, même si la vidéo est un peu moins éblouissante que celles que nous sommes habitués à voir actuellement.

*** Hans Rosling est décédé avant que le livre ne soit déposé chez l’imprimeur. Son fils Ola et sa belle-fille Anna, avec qui il collaborait depuis plusieurs années, ont achevé le projet en son hommage. Ensemble, ils dirigent l’ONG Gapminder, un ‘fact tank’ dont l’objectif est de lutter contre les idées fausses concernant le développement mondial en partant de faits.

**** À certains moments, le livre se lit comme une version anecdotique, moins technique de l’inégalable "Thinking, Fast and Slow" de Daniel Kahnemann.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Arne Maes Senior Economist
Arne Maes (né en 1985 à Ekeren) détient un Master of Science en Ingénierie commerciale de l’université d’Anvers, avec spécialisation en politique économique. Au sein de la banque, Arne est expert en économie belge et travaille, de surcroît, à la création et l’entretien des modèles de prévision du service, ainsi qu’au développement de nouvelles idées de recherche. En savoir plus

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