Peut-être obtiendrions-nous de meilleurs résultats économiques avec un peu moins de démocratie que ce que nous connaissons aujourd’hui. C’est le point de départ de l’ouvrage « 10% less democracy ». Garett Jones, qui fait partie de l’écurie de l’université George Mason*, considère la plupart des riches pays occidentaux comme démocratiques. Les 25% supérieurs de ces pays s’en sortent plutôt bien: ils connaissent rarement des famines ou des conflits armés avec d’autres démocraties. Jones utilise ce constat pour souligner que ces avantages se retrouvent dans tous les pays du groupe de tête. Ces pays diffèrent cependant sur les plans de la participation des citoyens et de l’indépendance des gouvernants. C’est le point de départ de Jones: un pays ne doit pas être 100%** démocratique pour bénéficier de ces avantages.
Au contraire. La version de Jones de la célèbre « courbe de Laffer » (cf. ci-dessous), montre qu’une gouvernance démocratique maximale dans la gestion d’un pays peut se traduire par des résultats économiques médiocres. Il l’explique comme suit: le peuple (ou une partie du peuple) s’exprime lors des élections sur les priorités sociétales et les bureaucrates sont ensuite chargés de les mettre en œuvre. Le niveau de démocratie d’un pays détermine la marge de manœuvre dont disposent les bureaucrates pour réaliser leur mission. S’ils ne sont pas suffisamment libres, et dans le cas extrême doivent consulter les citoyens pour chacune de leur décision, la politique en souffre. Jones suppose que de nombreux pays occidentaux s’en sortiraient mieux s’ils se situaient un peu plus sur la gauche du graphique.
Méritocratie
Jones démontre que les bureaucrates qui ne sont pas élus directement affichent souvent de meilleures performances. Un exemple concret sont les banquiers centraux et leur niveau d’indépendance. Une étude d’Alesina et Summers montre d’une manière incroyablement simple que l’indépendance des banquiers centraux va de pair avec une inflation basse. Les banquiers centraux nommés à court terme et susceptibles d’être licenciés par les politiciens se montreraient davantage enclins à les écouter et à soutenir l’économie grâce à des mesures monétaires. Malgré tout, les économistes s’accordent à dire que les interventions monétaires inutiles nuisent à la stabilité des prix et à la crédibilité des banquiers centraux. Résultat: les coûts deviennent supérieurs aux bénéfices à long terme.
Jones s’est également penché sur les trésoriers et régulateurs des télécoms et de l’électricité. Une étude des trésoriers de villes américaines – disons les gardiens du trésor locaux – montre que les trésoriers directement élus n’affichent de mauvais résultats que dans un seul domaine: ils paient généralement près de 70 points de base de plus de charge d’intérêt sur l’encours de la dette. Cela peut signifier que les partenaires financiers ont moins confiance en eux.
Les régulateurs de services aux collectivités élus directement font aussi moins biens que leurs homologues nommés. Les régulateurs nommés accorderaient plus souvent des augmentations de prix lorsque les coûts de réseau augmentent, contrairement aux régulateurs qui dépendent davantage des électeurs. Le fait que les fournisseurs de télécoms et d’électricité puissent s’attendre à un prix « équitable » semble les encourager à investir davantage, car la stabilité des réseaux en cas de régulateurs nommés est beaucoup plus élevée.
La voix du peuple
C’est un fait connu que les politiciens se comportent différemment à l’approche des élections. Jones en fait la démonstration. Il est ainsi apparu que les sénateurs américains votaient plus souvent pour des initiatives encourageant le commerce au cours des quatre premières années de leur mandat de six ans. Au cours des deux dernières années – avant une nouvelle élection – le nombre de personnes votant contre ces propositions augmente nettement. Jones utilise cet exemple ainsi qu’un autre pour montrer que le processus démocratique détourne parfois les politiciens de l’intérêt général. Comme contre-mesure il propose notamment la prolongation des mandats et des élections « staggered » (décalées). Ce dernier système est déjà appliqué aux Etats-Unis, où seule une partie des sénateurs sont réélus tous les deux ans.
L’opinion personnelle de Jones – qui n’est pas totalement étayée – est qu’en 2020 les résultats des élections n’auront plus la même valeur pour les politiciens. Il s’inquiète des cycles très courts des actualités et de l’importance des réseaux sociaux, qui se focalisent surtout sur les rumeurs du jour. Imposer des restrictions en matière de droit de vote serait sans doute aller trop loin, mais Jones souligne cependant que de telles limites existent dans certains pays. C’est notamment le cas du sénat irlandais où six des 60 sièges sont choisis par deux universités.
C’est aussi illustratif de l’avis de Jones. Il veut nous rendre moins vulnérables à l’idée que quelque chose est ou non démocratique. Nous ne vivons pas dans une démocratie parfaite et certains aspects de cette démocratie offrent effectivement des avantages. Chacun doit se faire sa propre opinion et décider s’il souhaite plus ou moins de démocratie, mais le plaidoyer de Jones en faveur d’une évaluation des bénéfices et des coûts apporte une contribution importante à cet exercice de réflexion.
* Cela seul semble déjà être une marque de qualité. En plus de Kaplan (The Case Against Education) et Hanson (le parrain des marchés prédictifs), Jones compte aussi parmi ses collègues les incomparables Tyler Cowen et Alex Tabarock (marginalrevolution.com). Tous sont des penseurs intéressants dont les blogs respectifs méritent grandement d’être suivis.
** Le fait que la démocratie ne soit pas toute noire ou toute blanche, mais plutôt une échelle où se situe chaque pays est une vision intéressante. Jones cite la Grèce antique comme étant une structure étatique très démocratique. Selon lui, la voix du peuple y était si importante qu’elle pouvait décider de rappeler ou non les chefs militaires d’un conflit armé. Cet encadrement de la liberté des leaders semble cependant plutôt irréaliste à l’heure actuelle.