Menu
Macroéconomie
28.05.2020
Koen De Leus Chief Economist

Corona Economics (8) - la pandémie des pauvres

J’aimerais vous parler cette semaine de l’impact du Covid-19 sur un segment particulier de la population. Même si le coronavirus n’épargne personne, la pandémie a un impact dramatique sur les moins favorisés. Non seulement au sein de notre société, mais aussi au niveau mondial. Ils ont aujourd’hui besoin d’aide. Nous devons également revoir notre système économique afin de réduire progressivement les inégalités. Sinon, cette crise pourrait être un véritable tremplin pour des partis populistes aux intentions peu avouables.



Les pays en développement sont fortement touchés

Commençons par l’impact mondial de la crise sur les plus pauvres, c’est-à-dire les pays en développement. Un groupe d’économistes de la Banque Mondiale évalue l’augmentation du nombre de cas d’extrême pauvreté – en d’autres termes les ménages devant vivre avec moins de 1,9 dollar par jour – de 40 à 60 millions de personnes à 690 millions d’ici la fin de l’année. Les populations menacées de famine, surtout en Afrique, pourraient être multipliées par deux pour atteindre 260 millions d’individus d’ici fin 2020. L’aide au développement a été réduite et les restrictions en matière de déplacements se traduisent par une pénurie de main-d’œuvre pour les récoltes.

Les revenus de ces pays menacent de s’effondrer totalement. La plupart d’entre eux sont dépendants de matières premières dont les prix ont chuté de 21% depuis le début de l’année. Les transferts d’argent de compatriotes vivant à l’étranger – qui représentent une source de revenus très importante pour les pays les plus pauvres – ont été nettement réduits, tout comme les revenus du tourisme. Les investissements étrangers dans les pays en développement et émergents ont été retirés en un temps record par crainte de défauts de paiement.

Contrairement aux pays occidentaux, l’aide des banques centrales locales est également limitée. Elles ont réduit leurs taux, certes, mais n’ont pas mis en place des programmes de rachats massifs pour réduire les taux à long terme, par crainte de nouvelles dépréciations de leur monnaie. Depuis le début de l’année, la plupart des devises ont perdu de 10 à 30% par rapport au dollar, ce qui complique encore le remboursement des dettes des entreprises émises en dollars. La baisse des taux à court terme n’est par ailleurs pas répercutée sur les entreprises par les banques locales, qui essaient de conserver une marge de taux élevée pour compenser la proportion importante de créances douteuses au sein de leur portefeuille. Et cela affaiblit l’économie locale.

Risque de chômage

En Occident également, les principales victimes du coronavirus sont les personnes les moins nanties. Le fossé entre les « professionnels », les bas salaires et les jeunes n’a fait que se creuser. Les « professionnels » peuvent facilement travailler à domicile et ont donc conservé leurs revenus. Mais les personnes se situant à l’autre bout de l’échelle des salaires – y compris le personnel soignant – courent davantage le risque d’être contaminées et de perdre leur travail. Aux Etats-Unis, le taux de chômage des personnes détenant uniquement un diplôme de l’enseignement secondaire a augmenté de 15,5 points de pourcentage entre mars et avril. Pour les travailleurs détenant un diplôme universitaire, cette hausse est deux fois moins importante. Les jeunes qui se préparent à faire leurs premiers pas sur le marché du travail ont vu leur nombre de stages se réduire de près de 90%, et le défi de trouver un emploi est tout d’un coup devenu quasi insurmontable.

En Belgique, les demandes de soutien auprès des CPAS et des banques alimentaires battent des records. Les personnes à bas salaire, que nous retrouvons souvent dans les secteurs fortement touchés comme l’horeca, la culture, l’hôtellerie et le travail intérimaire, doivent se contenter de 70% de leurs revenus habituels, et se retrouvent parfois en dessous du seuil de pauvreté. Le remboursement des crédits hypothécaires a été temporairement suspendu, mais ce n’est pas le cas des loyers pour cette catégorie. Ils savent qu’ils vont devoir gérer leurs soucis financiers en plus de la crainte d’être contaminé.

Tremplin pour les partis extrêmes

Le monde politique doit réagir et aider les plus démunis. 90 pays en développement et émergents ont déjà demandé le soutien du FMI. 77 pays en développement ont reçu des pays du G20 un moratoire sur le remboursement de leur dette jusqu’à la fin de l’année. Mais ce dont ils ont besoin, c’est d’une annulation partielle de cette dette.

Dans les pays occidentaux – et en particulier aux Etats-Unis – l’augmentation des inégalités doit être combattue. L’Espagne compte expérimenter le système de revenu de base pour les citoyens les plus touchés. Après la Seconde Guerre Mondiale, les vétérans américains ont bénéficié de certains avantages, comme des bourses d’étude et l’octroi de crédits hypothécaires. Aujourd’hui également, certaines professions essentielles qui se sont retrouvées sur la ligne de front de la lutte contre le covid-19 feront entendre leur voix pour demander une revalorisation salariale.

La question qui se pose est la suivante: qui va payer ? Il n’est plus possible d’appliquer les mêmes recettes que lors des crises de 2008 et 2010. A l’époque, l’Europe avait bridé les dépenses générales, mais au même moment, l’impôt des sociétés avait été réduit. Ces mesures, ainsi que d’autres tout aussi controversées, ont suscité le mécontentement et fait le lit des partis populistes. D’après le fonds spéculatif Bridgewater, le pourcentage de la population mondiale votant pour des partis extrêmes est passé de 7 à 37% entre 2007 et 2017.

La réduction des inégalités et la mise en place d’un système capitaliste plus équitable s’imposent. Sinon, la crise actuelle servira de tremplin pour les partis extrêmes aux intentions peu avouables.

Stay safe & à la semaine prochaine.

Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne représentent pas nécessairement la position de BNP Paribas Fortis.
Koen De Leus Chief Economist
Koen De Leus (Bonheiden, 1969) détient un diplôme de master en sciences commerciales de la Economische Hogeschool Sint-Aloysius (EHSAL). Depuis septembre 2016, il occupe le poste d’économiste en chef au sein de BNP Paribas Fortis. Il est également professeur invité de la EHSAL Management School, notamment dans le domaine de la finance comportementale. En 2017, Koen a publié son livre « L'économie des gagnants : défis et opportunités de la révolution digitale », et en 2012, « Les règles d'or en bourse ». En collaboration avec Paul Huybrechts, il a écrit en 2006 « Au pays des vieux », un livre portant sur le défi social et économique du vieillissement de la population. En savoir plus

Sur le même sujet